Monsieur le futur ex-maire de Vancouver,
Votre décision a été prise. Vous ne voulez plus être le maire de Vancouver. Vous avez donc changé d’avis. Il y a un an de cela vous claironniez le contraire sur tous les toits des sans-abris. Qu’est-ce qui a bien pu se passer entre temps ? Qu’est-ce qui vous a fait changer d’idée tout à coup ? Curieux ce revirement. Je ne m’y attendais pas. J’avais l’impression que l’emploi, le poste, bien qu’exigeant, vous convenait, vous plaisait et que vous y teniez mordicus. Imaginez donc ma surprise lorsque l’annonce me parvint. J’en suis resté bouche bée devant mon verre de vin.
Face à ce fait, je ne peux pas dire que votre départ me fasse beaucoup de peine. Toutefois ne sachant rien de celle ou de celui qui vous succédera, je ne me réjouis pas non plus pour autant. J’avoue que votre passage à la mairie me laisse un peu pantois. Je n’arrive pas à décider si votre règne s’est avéré bénéfique ou non pour la ville. Ne sachant que penser de votre contribution je me suis permis de mener un petit sondage auprès de mes amis et de mes connaissances afin d’en obtenir une meilleure idée.
Certains, vos fans, ils ne sont plus nombreux, cherchant à me convaincre, estiment que la municipalité aurait fait un énorme pas en avant sous votre leadership. Vous avez voulu rendre cette ville plus verte, plus dense, plus vivable m’affirment-ils. Me faisant l’avocat du diable, a défaut de celui de Dieu qui me refuse tout statut juridique, je leur ai rétorqué que je trouve la ville encore plus grise, plus pluvieuse qu’avant, qu’elle est continuellement bouchonnée et guère vivante au delà de dix-huit heures. Les immeubles poussent comme des champignons vénéneux et les montagnes disparaissent petit à petit. Ce n’est pas parce que le bâtiment va que tout va, ai-je cru bon de rajouter pour consolider la dernière brique de mon propos.
Je me suis ensuite tourné vers ceux qui déplorent votre legs. Vancouver depuis votre arrivée, regrettent-ils, s’est transformée à une allure vertigineuse en une ville qui pète plus haut que son cul. Elle est devenue, selon eux, méconnaissable. Les quartiers huppés, tel Point Grey Road dans Kitsilano, se sont huppérisés de façon dramatique, la valeur immobilière a connu une croissance qui dépasse l’entendement, privant une majeure partie de la jeune génération de tout espoir de posséder un jour une maison semi décente à Vancouver. Les sans-logis, il y en a encore malgré votre dernière promesse électorale, se cherchent toujours un abri. Mes sondés constatent aussi le manque de logement abordable, problème auquel vous deviez vous attaquer. Si les cyclistes par contre peuvent afficher leur satisfaction, cela s’obtient au détriment des automobilistes qui fulminent contre vous et votre conseil municipal. L’augmentation des impôts fonciers de 4,24% en 2018 n’arrange pas les choses et ne plaide pas en votre faveur, conspuent-ils.
Il y a donc à boire et à manger lorsqu’on fait le bilan de votre long séjour au coin de la 12e Avenue et Cambie. Rien de plus normal me direz-vous, il est quasi impossible de faire l’unanimité et de plaire à tout le monde. Je vous l’accorde.
J’aimerais quand même revenir sur les raisons de votre départ. Je ne pense pas trop m’avancer en énonçant que, contrairement aux autres élections municipales précédentes, votre victoire cette fois-ci était loin d’être acquise. Votre entourage, tour à tour, a cru bon d’abandonner le navire. Votre parti, Vision Vancouver, voit son avenir sérieusement compromis. Plus personne n’y croit. Vision vit maintenant ses derniers instants. Face à cette dure réalité, risquant le K.O. aux prochaines élections municipales vous avez choisi de jeter l’éponge. Je ne peux vous blâmer. Mieux vaut sortir la tête haute que la queue entre les jambes. Vous ne voulez pas non plus projeter l’image d’un maire amer. Avouez tout de même que l’affront infligé par les autres maires de la région du Grand Vancouver de vous écarter de la présidence de leur assemblée a dû influencer votre décision. Un camouflet difficile à avaler. Je peux comprendre ça. Votre départ donc, bien que vous ne l’admettiez pas publiquement, ne peut surprendre.
Vous pouvez toutefois vous consoler en sachant que vous aurez passé une bonne dizaine d’années, trois mandats exactement, à la tête de la mairie; un accomplissement qui mérite tout de même notre gratitude.
Vous êtes encore jeune et je crois comprendre que votre carrière politique ne tire pas à sa fin. Tenté par Ottawa ? Ne répondez pas tout de suite, prenez votre temps. Plus rien ne presse.
Je me demande au fond si vous n’êtes pas un maire hors-pair qu’on perd.