Les réseaux sociaux ont longtemps été salués pour avoir créé de nouvelles occasions de communication favorisant la liberté d’expression, et par extension la démocratie. Il est utile de rappeler que Twitter et Facebook ont joué un rôle primordial dans les soulèvements iraniens de 2009, dans le monde arabe en 2011 et en Ukraine en 2013. Toutefois, presque dix ans après l’impressionnant « Printemps arabe », la démocratie est en jeu.
Le 11 avril prochain, à la bibliothèque publique de Vancouver, l’événement-débat Is social media destroying democracy? organisé par l’université Simon Fraser et la British Columbia Civil Discourse Society, viendra alimenter nos réflexions sur cet épineux sujet.
Les enjeux
Difficile de nier que les réseaux sociaux sont devenus un point central dans la société démocratique d’aujourd’hui. Ils permettent un partage d’informations sans précédent. Les personnes oubliées ou marginalisées, dont la voix a pu être omise, disposent désormais de plateformes sur lesquelles elles peuvent s’exprimer et être lues.
Mais les réseaux sociaux deviennent controversés. Alors que plusieurs enquêtes sont en cours au sujet d’interventions étrangères sur Facebook et YouTube dans les élections américaines de 2016, il est légitime de se demander si les réseaux sociaux sont en train de mettre en danger notre démocratie ? Et comment réglementer ces outils sans dériver vers des sociétés liberticides ?
Professeur à l’université de Victoria et auteur sur le sujet, Colin Bennett affirme que « les réseaux sociaux sont un danger pour la démocratie. Tant au niveau des problèmes de confidentialité qu’au niveau des algorithmes, dirigeant l’individu vers des contenus en accord avec ses croyances ».
Le danger de la désinformation
Les réseaux sociaux sont intrinsèquement politiques et tout médium qui permet de synchroniser des idées, d’organiser des actions et de diffuser ses résultats, contient en son cœur une dimension politique. Ceux-ci peuvent apporter un surcroît de démocratie dans les pays autocratiques. Il est difficile d’imaginer les impressionnants rassemblements de la place Kasbah à Tunis en décembre 2010 sans l’aide d’un outil tel qu’un groupe Facebook. Mais l’on assiste à une mise en pièces de la démocratie à beaucoup d’autres endroits.
« Les réseaux sociaux, devenus un moyen d’information incontestable, sont alimentés par un nombre pléthorique d’information aux sources peu fiables » confie Colin Bennett. Ces nouveaux médias ont acquis un certain pouvoir et deviennent l’expression du refus de la parole publique, des arguments et des idées au détriment de l’émotion, de la crédulité et parfois de l’outrance. La réalité devient secondaire, presque « alternative », face aux attentes à l’audience et au buzz de certaines nouvelles.
Et il est difficile de ne pas s’inquiéter pour la démocratie lorsque personne ne s’accorde sur la réalité des faits (mission centrale des médias). Il n’y a qu’à regarder les tensions amenées sur Facebook ou Twitter par les partis d’extrême droite européens après la signature du Pacte de Marrakech en décembre 2018 sur le sujet des réfugiés, alors même que ce pacte est en réalité une déclaration d’intention sans contraintes juridiques.
« Les réseaux sociaux permettent une sélection facile des sources », soutient Colin Bennett. Ceci est cohérent avec une théorie plus large sur le « biais de confirmation » que les réseaux sociaux ont tendances à renforcer.
La vérité semble ne plus avoir d’impact. Il y a une résistance aux faits.
La polarisation de l’opinion
Avec l’émergence des réseaux sociaux apparaissent les algorithmes de personnalisation, dirigeant l’utilisateur vers des contenus qu’il pourrait potentiellement aimer. Ceci ayant pour effet d’amener une radicalisation des points de vue. Si les algorithmes ne sont pas à l’origine des logiques de polarisation, ils la favorisent néanmoins par leur fonctionnement.
Colin Bennett affirme que « nous vivons dans des ‘bulles à filtres’ où nous sommes de manière chronique dirigés vers des contenus, ce qui sape complètement notre possibilité et volonté d’interagir. La collection de données et les algorithmes sont leurs modèles de travail ». Les plateformes cherchent en effet à maximiser leur satisfaction, et donc à diriger les utilisateurs vers des informations ou des personnes confortant l’individu dans ses opinions.
Ces biais individuels se retrouvent par ailleurs renforcés par le collectif. Le juriste et philosophe américain Cass Sunstein a élaboré en 2002 la loi de la polarisation de groupe – qui est une théorie de psychologie sociale – selon laquelle « un groupe d’individus tend à prendre des décisions plus extrêmes que les tendances naturelles de ses membres ».
Cette polarisation va à l’opposé des politiques démocratiques où la recherche du compromis doit être essentielle.
Lien utile : www.eventbrite.ca/e/is-social-media-destroying-democracy-registration-58399468382