Du saké au temps des cerisiers en fleurs

C’est l’arrivée du printemps, les cerisiers fleurissent devant nos fenêtres, leurs fins pétales viennent revêtir nos rues d’un rose poudré. Malgré le confinement qui nous prive du délicat parfum des sakuras en fleurs, il est encore possible d’admirer leur beauté éphémère à son balcon, en savourant un parfum tout aussi raffiné : le saké.

Les cerisiers japonais sont maintenant partie intégrante du paysage de Vancouver, et leur floraison printanière s’est progressivement installée dans nos petits bonheurs quotidiens, sans qu’on y fasse vraiment attention. Comme tous les restaurants qui ont fleuri tout le long de la rue Powell il y a plus de cent ans, aujourd’hui considérée comme l’épicentre du quartier japonais, pour faire maintenant partie de la culture de la ville, le saké s’est discrètement invité à la table des Vancouvérois.

Héritage

Ce vin de riz, alcool national du Japon, ne quittait pourtant jamais vraiment le cadre d’une sortie à la découverte des saveurs de l’archipel. C’est ce qu’a réalisé M. Masa Shiroki, riziculteur et fondateur d’Artisan Sake Maker, qui s’est alors donné la mission de créer une culture du saké typiquement canadienne. « Il y a un côté très émotionnel dans ce choix : « Je suis Japonais, même si j’ai passé plus de temps au Canada qu’au Japon…Et je veux laisser un « héritage », laisser mon empreinte dans ce pays qui m’a tellement offert… Beaucoup de chefs ont adopté cette culture japonaise, au sens culinaire, et je veux m’assurer que cela continue au Canada, d’une génération à la suivante… », confie M. Shiroki.

Le Junmai, « riz pur » en japonais, un type de saké fait uniquement à partir d’eau, de riz et de levure. | Photo par Artisan Sake Maker

« Et je veux faire en sorte que cela profite aux gens de ce pays » explique-t-il avec émotion.

En effet, cette démarche vient aussi d’un souci pour le développement durable : le type de riz cultivé sur l’île d’Hokkaido, résiste mieux aux températures plus basses, mais aussi au réchauffement climatique, à la différence du blé. « Cela pourrait avoir un impact important sur les agriculteurs qui se sont orientés vers la culture du blé ici » précise le riziculteur, et dont l’industrie est menacée. M. Shiroki, qui a installé sa riziculture à Abbotsford, en Colombie-Britannique, explique que la qualité de l’eau influence énormément le saké : le processus nécessite autant d’eau que de riz, ce dernier est lavé et poli pour ne garder que le cœur du grain, riche en amidon. « L’eau ici est particulièrement bonne, elle possède le bon ph… et on la puise directement à la source », précise M. Shiroki. On incorpore du « koji », dérivé d’un type de champignon produisant des enzymes, transformant l’amidon en sucre qui est ensuite fermenté pour devenir de l’alcool. Ce long processus, dont la fermentation peut prendre deux semaines à elle seule, donne au saké toute sa transparence et son goût.

Mais un obstacle persistait, pour ce riziculteur passionné : marier le goût à la culture locale.

S’adapter

En effet, dans l’archipel nippon, ce vin de riz peut être consommé à l’ombre des cerisiers en fleurs, pour célébrer cette beauté évanescente au printemps, mais il est surtout bu à petites gorgées, dans de délicates coupelles de porcelaine, pour accompagner un mets. Les arômes du saké se marient alors aux saveurs umami (comme le poisson, le thé vert, les champignons) salées, ou acidulées des plats japonais. « Les Japonais apprécient un saké au goût plus sec » explique le producteur de saké.

Mais les Canadiens sont habitués à une cuisine bien différente, et ont encore moins l’habitude de choisir un saké pour agrémenter un repas : « Il fallait faire du saké qui s’adaptait aux plats consommés en Amérique du Nord, et avec lesquels les sakés appréciés au Japon, au goût très fin, très épuré, ne s’harmonisaient pas vraiment…On a donc créé des sakés avec plus d’acidité, avec une note sucrée, pour l’équilibre, qui allaient même avec une cuisine plus relevée comme la cuisine thaïlandaise, ou avec un goût beaucoup plus prononcé comme le fromage, ou même la viande rouge » raconte M. Shiroki.

Car le Junmai, « riz pur » en japonais, un type de saké fait uniquement à partir d’eau, de riz et de levure, sans ajout d’alcool distillé comme pour d’autres types de saké, reste fait pour agrémenter une cuisine raffinée. Kanpai !