La voix d’une femme vive et humaine

C’est ainsi que Monia Mazigh se définit. Auteure, académicienne et épouse de grand courage,

Monia Mazigh est née en Tunisie et a immigré au Canada en 1991. Trilingue, elle parle couramment l’arabe, le français et l’anglais et détient un doctorat en finance de l’Université McGill. En 2004, elle s’est présentée à l’élection fédérale canadienne comme candidate pour le NPD et a obtenu le plus grand nombre de votes pour sa circonscription dans l’histoire du NPD.

En 2002, Mme Mazigh a dû faire face à un très grand drame quand son mari, Maher Arar, a été déporté en Syrie où il a été détenu sans aucune accusation et torturé pour plus d’un an.

« J’ai livré un combat inlassable pour faire libérer mon mari et j’ai lutté sans relâche pour rétablir sa réputation et demander réparation, » confie-t-elle.

En janvier 2007, après une longue enquête, le gouvernement du Canada a finalement présenté ses excuses à son mari. C’est à ce moment-là que Monia Mazigh publie son premier livre intitulé : Les larmes emprisonnées qui raconte sa lutte. Le livre a été finaliste au prix de la ville d’Ottawa. D’autres livres ont suivi : Miroirs et mirages qui a été finaliste au prix Trillium et au prix de la ville d’Ottawa en 2012. Du pain et du jasmin qui a été finaliste au prix Champlain des éditeurs franco-ontariens, et L’espoir a deux filles.

La Source a pu s’entretenir avec Monia Mazigh.

Monia Mazigh, écrivaine. | Photo de Monia Mazigh

La Source : Lequel de vos livres alliez-vous présenter au Salon du Livre de Vancouver au mois d’avril dernier ?

Monia Mazigh : Le dernier de mes romans, Farida. Ce livre-là est un peu spécial parce qu’il a été écrit en grande partie à Vancouver. C’est l’histoire d’une femme qui s’appelle Farida, qui est née dans les années 30 et a vécu dans les années 40 et 50 en Tunisie. C’est l’histoire d’une femme qui, malgré la société dans laquelle elle vit, malgré l’oppression systémique, a pu trouver les moyens de s’émanciper, pas peut-être l’émancipation telle que nous l’entendons aujourd’hui, mais quand même de survivre et de continuer à éduquer son fils et plus tard, sa petite-fille. C’est un roman de voix de femme, et c’est aussi un roman sur l’histoire de la Tunisie, puisqu’on la voit en filigrane tout au long du roman.

LS – Roman en quelque sorte biographique?

MM – Non, mais cependant, je me suis un peu inspirée de la vie de ma grand-mère qui a eu bien de la difficulté à s’intégrer dans une société dominée par les hommes. Une société qui exige que les femmes devraient éduquer mais rester subalternes. Farida aussi ne réussit pas à trouver sa place dans le moule de cette société.

LS – Pourquoi portez-vous le hijab?

MM – C’est une question que l’on pose à beaucoup de femmes qui portent le hijab et qui suscite plusieurs réponses différentes. Au fait, pour moi, c’était une question très spirituelle: je me sentais beaucoup mieux quand j’avais les cheveux couverts et habillée d’une manière qui évoquait une certaine modestie. Je me sentais bien, comme si j’étais en prière permanente. Cela me calmait et je me sentais protégée spirituellement. Je parlais à Dieu, j’avais intérêt à tout ce qui est vivant, en dehors du commun des mortels. Ce n’était pas facile parce que la Tunisie a été l’un des premiers pays à éliminer le voile. Pour moi donc c’était comme si j’allais à contre-courant. Le paradoxe était que je me sentais libérée, mais les autres me trouvaient opprimée. Je me suis donc dit que, en venant au Canada, les gens me verraient différemment et ne me jugeraient pas selon les normes de la société tunisienne.

LS : Où prenez-vous vos idées, votre inspiration ?

MM : J’ai toujours aimé les histoires. Mais je me suis éloignée de mon imagination quand je me suis consacrée à la finance. Avec l’arrestation de mon mari, j’ai compris qu’au-delà du milieu académique rationnel où je vivais, le monde extérieur fonctionnait d’une autre manière. C’était pendant ces moments difficiles que l’écriture m’est venue par nécessité. J’ai écrit Les larmes emprisonnées car je voulais que l’on sache l’histoire de la personne qui l’avait vécue. Cela m’a changée de l’intérieur et de l’extérieur. Superficiellement, car je ne m’attendais pas à faire ce travail et profondément, parce que j’ai dû arrêter ce que je faisais auparavant. En somme; j’ai dû me transformer. Ensuite je me suis mise à écrire une autre histoire : Miroirs et mirages qui porte sur l’histoire de femmes musulmanes. On parle de ces femmes comme si elles n’existaient pas. Je voulais perturber les clichés et aller à l’intérieur de ces femmes, au-delà de l’habit.

Quand j’ai commencé écrire mon premier roman, je me suis dit: “Mais, qu’est-ce que tu vas écrire? Tu peux mettre tout sur une page!” Mais, quand je me suis mise à écrire, les idées arrivaient l’une après l’autre.

Avec mes autres romans, je commencé avec une idée centrale. Je sais où je vais commencer, mais je ne sais pas où je vais terminer. Ce qui me surprend c’est ma propre personne, mes idées. A chaque fois je me dis: ”C’est sec, il n’y a plus rien à dire!”, mais avec un peu d’insistance et de persévérance, on se surprend soi-même.  Le cerveau humain est extraordinaire: qu’est-ce qui fait qu’un mensonge est un mensonge, et ce mensonge devient une belle histoire!

LS : Quelle a été la chose la plus surprenante lorsque vous écriviez vos romans ?

MM : Ce qui m’a surprise et ce qui me surprend encore, c’est l’étendue de l’imagination humaine. L’écriture élargit les esprits, donne confiance et ça aide à mieux nous comprendre. Je crois que les arts ont la mission de créer une société plus cohésive qui respecte tout le monde.

LS – Et votre vie politique? Vous étiez très engagée.

MM – J’ai presque quitté, oui, c’est vrai que je connais encore des amis qui travaillent là-dedans, mais personnellement je ne suis plus vraiment en politique. Un domaine très exigeant sur le plan moral et physique. J’ai choisi d’écrire.

LS – Parlez-moi du beau roman “Le pain et le jasmin”?

MM – “Le pain et le jasmin” c’est une histoire pendant le printemps arabe en Tunisie. Mais c’est aussi la révolution que vivent deux femmes, la mère, pendant l’émeute du pain (1984) et la fille durant la révolution du jasmin en 2011. C’est un roman où il y a un peu l’histoire de mon adolescence.”

LS – Vous écrivez en français d’abord?

MM – Oui, j’écris en français et tous mes romans ont été traduits en anglais, sauf “Farida” qui est encore seulement en français.

LS : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs de La Source voient en vous ?

MM : J’aimerais que les gens retiennent de moi l’image d’une femme vive et humaine. La seule chose que je n’accepterai jamais est l’injustice. Quand on est femme et racisée de surcroît, Dieu seul sait combien l’injustice nous guette. Avec le temps, j’ai choisi mes armes : les mots et l’espoir pour y survivre.

Pour en savoir plus: www.moniamazigh.com