Il est né dans le pays le plus pauvre de la planète (PIB de 499$/habitant, soit les deux tiers de celui de la république Centrafricaine, dernier pays des listes établies par le FMI et la Banque mondiale). Il avait huit ans lorsque la guerre civile éclata dans son pays, la Somalie, et que sa mère décida de l’envoyer au Kenya pour lui épargner le destin de beaucoup d’enfants soldats.
Sharmarke Dubow est aujourd’hui conseiller municipal à la mairie de Victoria. La Source retrace l’étonnant parcours de cet homme qui a connu toutes les situations de crise possibles en passant par la guerre, les camps de réfugiés, les tensions ethniques et les révolutions arabes.
D’exil en exil
Son histoire tient d’ailleurs plus de l’Énéide que de l’Odyssée car après avoir échappé à son pays en guerre, comme Énée, le voici au cœur du pouvoir politique d’une ville relativement neuve pour y apporter ce qu’il espère être l’amélioration du quotidien de ses habitants.
C’est par bateau sur les eaux dangereuses et infestées de requins de cette partie de l’océan Indien que le jeune Sharmarke et sa petite sœur gagnent la ville de Mombassa au Kenya. Leurs parents sont restés au pays, ils les retrouveront plus tard. « Il fallait payer les pêcheurs et les propriétaires des navires pour pouvoir s’échapper, cela coûtait beaucoup d’argent », explique-t-il. C’est son premier camp de réfugiés, ils sont 30 000 à y résider, l’endroit s’appelle Utanga. C’est la toute première étape de son périple. Lorsque le Kenya décide de fermer le camp, sa famille aurait aimé faire partie des chanceux qui décrochent un visa pour le Canada ou les USA mais ils n’auront pas cette aubaine. Faisant face au choix difficile entre retourner en Somalie, où la guerre fait toujours rage, ou bien se rendre dans de nouveaux camps à l’ouest du pays, les Dubow tentent de reprendre leur destin en main et de s’installer en Éthiopie en 1996. Là, le jeune Sharmarke peut commencer
à apprendre l’anglais et les mathématiques mais en 2000-2001 la révolte gronde dans le pays. Voici Sharmarke obligé de s’exiler en Égypte cette fois. Il y arrive quelques jours seulement avant les attentats du
11 septembre 2001.
Petit à petit
C’est à l’université du Caire qu’il prend pour la première fois véritablement contact avec le Canada, grâce au partenariat de cette dernière avec l’université du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse. En 2008 il y décroche son diplôme officiellement reconnu au Canada mais ne peut pas travailler en Égypte où on lui refuse son permis de travail. Pendant des années, Sharmarke Dubow va s’investir dans l’humanitaire, l’aide aux réfugiés et la défense des droits de la personne. Dix ans après son arrivée, l’Égypte est en ébullition. C’est le début des révolutions arabes. Pour une personne dans sa situation et avec ses activités en faveur des droits de la personne, il faut fuir à nouveau. « Je me sentais désespéré lorsque j’ai décroché mon ticket d’or. » C’est ainsi qu’il appelle son visa pour le Canada. Il est parrainé par une association qui lui permet de débarquer à Winnipeg en 2012.
Après quelques jours de repos, il décide de partir à la découverte de son nouveau pays, monte dans un car de la Greyhound et se dirige vers l’Ouest. Le choc culturel le frappe de plein fouet. « Je suis arrivé à Calgary en plein pendant la centième édition du Stampede. J’ignorais que cet été était exceptionnel pour les Canadiens, et je me souviens du plaisir que l’on avait à recevoir des pancakes gratuits tous les matins ! Je croyais que c’était une tradition normale lors des festivals d’été ici au Canada », avant de poursuivre « j’ai même rencontré le célèbre chanteur somalien K’naan qui était pour moi une superstar et une source d’inspiration ».
Par la suite, il s’installe à Victoria et obtient la nationalité canadienne en 2018. Il se lance immédiatement en politique et se fait élire conseiller municipal. C’est sur une des motions qu’il a déposées qu’est créé le Renters’ Advisory Committee (Comité de conseil des locataires) car il « n’a pas oublié les difficultés que l’on peut rencontrer en tant que locataire lorsque l’on n’a pas de voix pour se faire entendre ». Il participe également à la mise en place de la gratuité des transports de BC Transit pour certaines catégories de la population, en particulier les jeunes, les personnes âgées et les nouveaux immigrants. Aujourd’hui, monsieur Dubow, en plus de son mandat municipal, participe à sept comités tournés aussi bien vers les arts et la culture que l’écologie.
« C’est l’espoir qui m’a mené jusqu’ici », partage-t-il. « L’espoir et la curiosité. » En ces temps difficiles de pandémie, ces quelques mots pourront résonner dans l’esprit de nombreuses personnes qui connaissent des situations pénibles.