Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous vous êtes laissé emporter par un beau vers, ou une rime qui vous a fait sourire, ou par la musique d’un poème ? Avril c’est le mois de la poésie au Canada, une occasion de redécouvrir le genre, de revisiter les classiques ou de rencontrer de nouveaux poètes.
Or, même si des initiatives telles que le concours national Les voix de la poésie ou le concours de haïku
et poème court de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique aideront les passionnés de lettres à célébrer la poésie au mois d’avril, elle ne semble pas être aussi présente dans l’imaginaire des francophones et francophiles de la province.
Apprendre à aimer la poésie
D’après un sondage du Commissariat des langues officielles, en 2016–2017, 6 000 élèves étaient inscrits dans une école française en Colombie-Britannique, soit une augmentation de 25 pour cent dans les cinq dernières années. De plus, 53 207 élèves étaient inscrits dans une école d’immersion française dans la province la même année. Les deux plus grandes universités en C.-B., l’université Simon Fraser et l’université de la Colombie-Britannique, offrent des études postsecondaires et supérieures en français, y compris des études de littérature française.
Pourtant, la question demeure : si le français a toujours une présence importante dans les écoles et les universités de la province, pourquoi la poésie ne semble-t-elle pas aussi enracinée dans la culture francophone en Colombie-Britannique que d’autres expressions culturelles ?
Selon Sima Godfrey, professeure associée au département de français de l’université de la Colombie-Britannique (UBC), et Laurent Fadanni, poète, viticulteur, et professeur de français à l’école Gabrielle-Roy à Surrey, la réponse est complexe, mais elle est en partie reliée à l’enseignement.
Pour Laurent Fadanni, il s’agit d’une question de pédagogie, mais surtout de perspective. « L’élève, une fois qu’il comprend que la poésie c’est avant tout une question de regard qu’on porte sur le monde et que ce n’est pas tant la production d’un texte en vers, mais que c’est un regard où d’une certaine manière, on redécouvre le merveilleux ou l’on réenchante le quotidien, qu’on leur dit que la poésie aussi, c’est une clé qui permet d’ouvrir la porte de leur monde intérieur et de visiter leur monde intérieur, alors, c’est gagné », explique-t-il.
Tel que Laurent Fadanni l’explique, donner aux jeunes cette clé à leur monde intérieur est très important car ils vivent déjà dans une réalité où ils doivent toujours « faire attention à l’image qu’ils projettent » dans les réseaux sociaux.
En ce qui concerne les études postsecondaires, Sima Godfrey dit avoir l’impression « qu’on enseigne de moins en moins la poésie ». Spécialiste de la littérature française du 19e siècle, et notamment du poète Charles Baudelaire, Sima Godfrey croit que pour changer les attitudes négatives des étudiants envers la poésie, il faudrait d’abord corriger leur vision de la lecture d’un poème.
« On leur a dit que pour comprendre la poésie, il faut lire entre les vers et je leur dis toujours qu’il n’y a rien de plus sot que de lire entre les vers. Parce qu’entre les vers, il n’y a que du blanc. Ce qu’il faut faire, c’est lire les vers. Tout est là, dans le langage », dit-elle. Le mythe de la difficulté de la poésie joue aussi un rôle pour Sima Godfrey, car les étudiants « ont toujours l’impression qu’il y a quelque chose de profond qu’ils n’arrivent pas à saisir, que c’est un acte de lecture qui les opprime. Alors là, ils ont honte ».
Poésie, pont vers l’universel
Parler avec Laurent Fadanni, auteur de six recueils de poésie et d’un livre de nouvelles, c’est comprendre que, pour lui, la poésie c’est le genre qui nous permet d’exprimer notre plus pure expérience humaine : « Le roman, c’est une œuvre d’architecte, c’est une œuvre où l’on doit introduire beaucoup de rationalité. C’est très important parce que sinon, ça part dans tous les sens. Mais je trouve que dans le cadre de la poésie, c’est une forme qui se prête bien à traduire le cœur, à traduire l’âme d’une personne ou d’un peuple ».
Pour Sima Godfrey, la poésie est aussi un chemin vers l’universel, quelque chose qu’elle apprend à ses étudiants par l’étude de certains poèmes de Baudelaire : « Baudelaire, quand même, c’est le poète de la modernité. C’est le premier poète à nous parler de ce que c’est que de vivre dans une ville moderne, d’être entouré par une foule qui est à côté de vous, de se sentir anonyme. Ce qu’est cette solitude dans la vie urbaine, voilà qui est une expérience que nous connaissons tous », explique-t-elle.
Et si enseigner la poésie demeure un défi, encore plus dans un contexte majoritairement anglophone comme celui de la C.-B., Laurent Fadanni considère que plus que jamais on aurait besoin de poésie dans nos vies – elle deviendrait une réponse à la quête permanente du rationnel dans la société moderne.
« Je pense qu’il y a toujours dans la poésie et surtout la poésie francophone, une certaine spiritualité, et dans un monde ultra matérialiste, ça n’est pas facile. C’est pour ça qu’on a d’autant plus besoin de poésie dans le monde d’aujourd’hui », confie-t-il.
Tandis que souvent le lecteur cherche à comprendre de façon rationnelle le sens derrière les mots du poète, il faudrait finalement, selon Laurent Fadanni, tout simplement « laisser les mots [nous] parler comme de la musique, laisser le poème faire son chemin au fond de [nous] et planter sa petite graine ». Des magnifiques mots à garder près du cœur ce mois d’avril de poésie qui commence.