De l’occupation japonaise (1940) aux ultimes soubresauts des guerres d’Indochine (les guerres contre la Chine de 1979, puis de 1984) c’est presque un demi-siècle entier de guerre, de conflits et de violences qui ont fait du Vietnam une des nations qui compte le plus d’immigrants au XXe siècle. Mais avec la paix et la reconstruction, le pays et les diasporas qui en sont issues ont profondément évolué. C’est à cette évolution et aux nouveaux enjeux qui en résultent que s’attaque Anne-Cécile Delaisse, doctorante à UBC et qui s’est lancée dans une vaste dissertation ethnographique sur l’immigration vietnamienne, et en particulier sur le cas des pays d’accueil que sont le Canada et la France.
Passionnée par le Vietnam où elle a vécu pendant une année, la jeune Française doctorante à UBC explique que : « Ce qui m’a interloquée, intriguée (…) c’est que je voyais beaucoup de représentations culturelles vietnamiennes et quand on représentait la communauté, c’était surtout des réfugiés que l’on parlait. De par leur expérience traumatique, ils ont une certaine représentation du pays. Ils avaient un rapport à la culture qu’ils avaient laissée derrière eux très différent des étudiants que je connaissais et qui étaient arrivés au Canada depuis une dizaine d’année, et c’est ce qui m’a donné envie de faire cette étude ».
Aidée par Thái Hòa, lui-même fils d’étudiants vietnamiens arrivés à Montréal dans les années 60, et lui-même président de la Southeast Asian Cultural Heritage Society (SEACHS), elle s’attelle à la tâche dont le but est de comprendre quels sont les enjeux actuels de cette immigration.
Une immigration recomposée
La première chose qui les frappe, c’est d’abord le changement dans les composantes de cette immigration. Thái Hòa nous explique : « Les réfugiés, les boat people étaient un peu de toutes les origines. Par exemple, il y avait beaucoup de Chinois parmi les gens qui fuyaient le Vietnam, car avant de se libérer de la tutelle française en 1954, le pays a été en conflit avec la Chine pendant près de 1000 ans. Les Chinois étaient vus comme des bourgeois qui possédaient les terres. » S’y ajoutent bien entendu les personnes ayant soutenu les Français ou les Américains, les membres du régime sud-vietnamien, les peuples montagnards tels que les Hmong qui ont pris part à la guerre contre Hanoï ou encore tous ceux qui ne pouvaient supporter le régime.
Depuis la crise des boat people qui a culminé en 1979 et s’est atténuée à la fin des années 80, l’immigration vietnamienne a totalement changé. « Aujourd’hui l’immigration vietnamienne a deux composantes principales. Celle des travailleurs temporaires, principalement en Asie et au Moyen-Orient, et celle des étudiants qui partent se former en Occident », nous explique Anne-Cécile.
Canada et France, des modèles opposés
En ce qui concerne le choix de se concentrer sur deux pays en particulier, la doctorante développe : « J’étais assez intriguée de voir l’impact des politiques d’intégration du Canada et de la France sur la vie quotidienne des immigrants vietnamiens, mais aussi de voir quel était l’impact des politiques d’émigration du Vietnam sur sa propre communauté (…) Le fait de comparer les politiques d’immigration du Canada et de la France, c’est parce qu’ils ont des politiques très différentes quant à l’intégration, mais aussi parce que ces deux pays font figure de « cas d’école » dans leur approche des politique migratoires. Ce sont des pays qui sont intéressants d’un point de
vue comparatif. »
Autre facteur à tenir en compte dans cette étude, c’est la taille similaire des communautés dans les deux pays (environ 250 000 membres) même s’il est difficile d’avoir des statistiques exactes pour la France, les statistiques ethniques y étant interdites par la loi. Par ailleurs, la communauté vietnamienne fait partie des cinq plus importantes communautés d’immigrants au Canada. En France, la communauté vietnamienne est beaucoup plus ancienne, les premières associations remontant aux années 1920 avec notamment une d’entre elles fondée par Hô Chi Minh lui-même.
Les principales différences dans l’accueil de ces nouveaux immigrants résident aujourd’hui dans les possibilités de rester dans leurs pays d’accueil. Anne-Cécile explique : « Le Canada a des politiques qui incitent à rester au pays après les études, ce qui n’est pas le cas en France qui a des politiques publiques plus facilement xénophobes ». Avant de noter que le dynamisme actuel de l’économie vietnamienne incite de nombreux immigrants à retourner dans leur pays d’origine où leurs diplômes étrangers et leur expérience peuvent parfois se révéler des atouts conséquents. Ainsi Thái Hòa nous explique avoir vu pour la première fois des enfants de réfugiés qui avaient fui le Vietnam y retourner, et même en acquérir la nationalité, ce que confirme Anne-Cécile en enchaînant avec ses propres exemples en Europe. Serait-il possible que le modèle occidental ne séduise plus cette jeunesse du sud-est asiatique ? Sans doute est-ce une des interrogations auxquelles la dissertation d’Anne-Cécile Delaisse sera en mesure d’apporter des réponses.
Pour plus d’informations visitez le : www.migration.ubc.ca/profile/anne-cecile-delaisse