Le froid

Pour tout vous dire, car j’ai envie de tout vous dire, je crains le froid. En fait j’ai horreur du froid. Le froid m’effraie. L’idée d’avoir froid m’horripile à tel point que j’en ai des bouffées de chaleur qui me donnent des frissons et des sueurs froides. Le froid me fait cet effet où j’en arrive à croire que le monde est mal fait. Mais, que je le veuille ou non, le froid est là et, d’une manière ou d’une autre, je dois m’y faire.

Nous sommes en automne, pas encore en hiver, et déjà je me plains du froid. Imaginez ce que cela va donner dans deux mois. Je serai sans doute gelé et incapable de garder mon sang-froid quand on atteindra des températures au-dessous de zéro. Le gel me gêne. Il me fait froid dans le dos. Bien des personnes, je le reconnais, ne craignent pas le froid. Je les envie. D’autres en raffolent. Je les admire. Certains admettent que ça ne leur fait ni chaud ni froid. Tant mieux. Mais, néanmoins, force est d’admettre que le mot froid a une résonnance négative, voir péjorative. Par exemple, il est évident qu’on ne peut battre le fer pendant qu’il est froid. On parle de froid, dans les relations, lorsqu’une mésentente s’invite entre deux parties. Quand des pays sont en froid, à couteaux tirés, on saute sur l’occasion pour parler de guerre froide. C’est vous dire jusqu’à quel point le mot froid a mauvaise réputation.

Lorsque je parle du froid, j’en parle en connaissance de cause. Mon séjour de six semaines passées dans le Grand Nord canadien m’a enseigné plusieurs choses sur le sujet. Pour commencer j’ai vite compris que le froid du Nord n’est pas fait pour moi. Mais j’ai aussi découvert que les gens du Nord sont des gens chaleureux qui n’ont pas froid aux yeux. De plus j’ai compris que ce n’est pas parce qu’il fait un froid de canard qu’on puisse dire pour autant qu’il fait un temps de chien. Pour les avoir côtoyés de près au Yukon comme au Nunavut ou dans les Territoires du Nord-Ouest, je peux vous assurer que pour cette espèce canine domestiquée, un froid de loup ne leur fait pas peur. En fait, ils adorent ça. Faut les voir cavaler à toute allure, tirant un traîneau sous des températures atteignant parfois moins trente degrés, pour constater jusqu’à quel point le froid les indiffère. Tout musher (meneur de chien) qui se respecte vous le dira : un chien de traîneau qui craint le froid est un chien de salon mal entraîné.

« Tout musher (meneur de chiens) qui se respecte vous le dira : un chien de traîneau qui craint le froid est un chien de salon mal entraîné. »

« C’est bien beau ça, mais face au froid qui te dérange tant, que comptes-tu faire ? », m’a demandé un de mes anciens collègues de bureau alors que les premiers froids de l’automne faisaient leur apparition. Face à cette question, au demeurant fort pertinente, cueilli à froid, j’ai eu du mal à répondre de façon cohérente. J’avais le sentiment d’avoir une patate chaude dans la bouche. Tout en gardant la tête au-dessus du pergélisol, je me suis mis à réfléchir sérieusement sur la question qui consiste à pallier ma réticence au froid. Oui, que faire ?

Sachant que je ne peux pas compter sur les pontes des questions environnementales, qui se sont réunis à Glasgow au cours de la conférence internationale sur les changements climatiques (COP26), puisque ces gens-là sont plus intéressés à refroidir la planète plutôt qu’à la réchauffer, je me suis mis à la recherche d’autres solutions. La première qui m’est venue en tête semble d’une évidence enfantine : m’habiller plus chaudement. Oui, ce n’est pas sot, mais voilà, chez moi j’aime me promener tout nu, donc pas question de porter un fardeau de vêtement. Autre possibilité : monter le chauffage. Ah ! Non. Il n’est pas question que je pollue davantage la planète en utilisant un supplément d’énergie. Ou encore : passer l’hiver dans des pays chauds. C’est ça, fuir face à l’adversité. Il n’en est pas question. La lâcheté ne fait pas partie de mon vocabulaire et, surtout, j’admets ne pas en avoir les moyens. Non, ma solution repose sur le principe de Gordon Liddy, un des plombiers du Watergate sous l’administration de Richard Nixon. Alors qu’il faisait une démonstration de sa résilience en mettant sans broncher sa main au-dessus de la flamme d’une bougie, quelqu’un lui demanda quel était son secret. Il répondit, froidement : « The idea is not to mind ».

Face au froid, je vais désormais adopter cette attitude. Je m’en vais l’ignorer. Je vais faire comme s’il n’existait pas, en espérant qu’une fois pour toute il me laissera tranquille. Il en est de même avec la pluie dont, vous ne perdez rien pour attendre, je ne vous ai pas encore parlé.