Comment assurer la sécurité alimentaire ? Qui est, ou devrait, être responsable d’asseoir les contours du problème et d’en dessiner les solutions ? Ce sont là les deux questions principales que Tammara Soma, professeur adjointe au département de la gestion environnementale et des ressources de l’Université Simon Fraser (SFU), souhaite mettre sur la table à l’occasion d’une conférence sur le sujet diffusée en direct le 23 novembre.
Depuis septembre 2020, la facture d’épicerie a augmenté de 3,9 pour cent pour les ménages canadiens, selon Statistiques Canada. En Colombie-Britannique, 41,6 pour cent des répondants ont déclaré avoir recours aux campagnes de promotion pour faire leurs achats alimentaires, d’après une étude de l’Université Dalhousie.
Une approche simple et globale
L’insécurité alimentaire est un terme évocateur, le chiffon rouge qui s’agite devant le taureau qu’est le coût de la vie, terme nonobstant assez large. « Dans le Grand Vancouver il y a une grande disparité entre les personnes qui sont fortunées, qui peuvent se nourrir correctement avec des aliments de leur choix et de leur culture, et ceux qui n’ont pas accès à de la nourriture, ou alors en quantité ou qualité insuffisante » ; c’est ainsi que Tammara Soma définit le fil rouge de son expertise. Sans détour, elle juge inacceptable que des Britanno-Colombiens soient en situation d’insécurité alimentaire alors que la province est riche et une importante productrice agricole.
L’insécurité alimentaire inclut également l’impossibilité de trouver des aliments connus de sa culture. Soit parce qu’ils ne sont pas disponibles dans les restaurants solidaires et les centres de solidarité par exemple. Ou bien parce qu’ils ne le sont plus pour des raisons sociétales. Les recettes traditionnelles peuvent disparaître, ou bien les connaissances peuvent ne pas être transmises aux générations futures, comme dans la culture orale des communautés autochtones.
Repenser la valeur de la nourriture
Pour expliquer l’angle islamique et autochtone de son travail, elle révèle qu’elle est musulmane et que dans sa confession, « on ne peut pas être musulman lorsque son voisin a faim ». Et considérant les Britanno-Colombiens comme ses voisins, ceux en précarité alimentaire se sont inscrits de facto dans ses travaux de recherche.
Pour ce qui est de l’approche autochtone, la raison est double. D’abord, parce qu’une très grande majorité des personnes dans la situation précitée sont de cette origine, au nombre de 4 millions au Canada, indique-t-elle. Ensuite, parce qu’en conduisant des sondages pour ses recherches au sein du Food Systems Lab (Laboratoire sur les systèmes alimentaires) de SFU, dont elle est la directrice de recherche et cofondatrice, elle a beaucoup été au contact d’Anciens, avec qui elle a appris que pour eux, « la nourriture est thérapeutique ». Or, rappelle-t-elle, certaines personnes n’ont pas de quoi manger.
C’est ce qui l’a amenée à repenser son approche de la sécurité alimentaire : penser au-delà du produit commercialisé et considérer plutôt la nourriture comme un liant, et ainsi atteindre ce que l’on pourrait appeler la pérennité alimentaire. « C’est comme dans la culture francophone, la nourriture c’est la famille, manger ensemble, c’est votre identité », affirme Tammara Soma. Elle désire associer la nourriture au lieu de résidence, à une culture, à une identité, en lui attribuant une autre valeur que l’on peut qualifier de morale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle son discours est ponctué du concept « justice alimentaire ».
Nourriture et justice pour tous
Et le rôle des banques alimentaires dans cette équation ? C’est le pessimisme sur lequel beaucoup semblent se reposer. Pour autant, sont-elles une solution ou un cache-misère ? Tammara Soma est d’accord avec le fait qu’elles ne devraient pas être considérées comme une solution. Les gouvernements se doivent d’agir pour que personne n’ait besoin d’y recourir.
C’est pourquoi la directrice de recherche du Food Systems Lab émet le souhait appuyé de voir des décideurs politiques dans le public de sa conférence pour qu’ils puissent « mieux comprendre certaines des difficultés que des personnes éprouvent et qu’ils fassent de cette question une priorité parce qu’après tout, c’est la chose que nous faisons tous, n’est-ce pas ? Manger. On mange tous, on en a tous besoin », dit-elle d’un ton doux mais ferme. « Le Canada est signataire de la Déclaration des Droits de l’Homme et cela inclut l’accès à la nourriture. C’est un droit. Et le gouvernement canadien devrait faire tout ce qui est en son pouvoir plutôt que se reposer sur les œuvres caritatives ».
Le message de Tammara Soma se résume à la justice alimentaire pour tous, et que chacun devrait s’en soucier.
« Je ressens une très grande responsabilité envers mon pays et envers les participants à mes études. Essayer de faire changer les lois est une grande responsabilité, mais c’est ma responsabilité de porter l’attention (sur cette cause) de par le savoir dont je dispose », conclut-elle.
Événement gratuit à suivre en direct en ligne le mardi 23 novembre à partir de 18 h 30. https://events.sfu.ca/event/25689-setting-the-table-for-food-justice-with-tammara