Tout au long de l’année passée, les auteurs du GIEC (Groupement d’experts international sur l’évolution du climat) ont rappelé que pour garder une planète vivable, il nous faut limiter le réchauffement planétaire de préférence à 1,5 degré Celsius. Pour y parvenir, l’humanité doit respecter un budget carbone planétaire estimé à quatre cent soixante milliards de tonnes de dioxyde de carbone (460 Gt CO2). Actuellement, l’humanité rejette chaque année quarante giga tonnes.
Des mesures existent mais les marges de manœuvre sont minces. L’humanité doit diviser ses émissions de moitié d’ici 2030. Le Canada s’est engagé à faire -40 pour cent à -45 pour cent sur cette période, soit passer de 730 à 450 millions de tonnes de CO2 annuelles. Il y a urgence !
On répète à l’envie que les individus doivent changer, en adoptant le vélo, en renonçant à la viande rouge ou à l’avion. Ça, c’est pour la demande. On entend moins les experts qui s’accordent pourtant à dire que l’offre de combustibles fossiles doit réduire. Puisque chaque baril de pétrole extrait sera un baril de pétrole brûlé, l’offre doit diminuer.
Alors que le sous-sol de la planète regorge de quoi transformer la Terre en étuve, il n’existe pas d’organe de coopération internationale chargé de veiller au strict respect du budget carbone de l’humanité pour tenir la cible des 1,5.
C’est pourquoi des chercheurs ont entrepris de répertorier ces quatre cent vingt-cinq « bombes carbones ». Il s’agit des plus grands projets dont le potentiel d’émissions atteint au moins la gigatonne.
Le Canada est assis sur douze « bombes carbones » dont le potentiel d’émissions cumulées s’élève à 39 Gt CO2. La puissance de cette bombe climatique nous place septième derrière la Chine, les États Unis, la Russie, l’Arabie Saoudite, l’Australie et le Qatar.
Face à ces chiffres et face à la science, les acteurs canadiens de l’industrie fossile ont-ils bien saisi l’ampleur de leur responsabilité ? On peut se le demander. Gouvernement, financiers et industriels sont entendus : « les projets seraient justifiés par la demande mondiale mais aussi par les emplois et les revenus pour le Canada », « si le Canada ne met pas son pétrole sur le marché, d’autres pays le feront ».
Seulement voilà, « chaque tonne compte » et « chaque dixième de degré compte », a dit le GIEC. Dans le monde réel, de nombreux projets fossiles vont devoir être abandonnés. Ce n’est pas un caprice, c’est le prix d’une planète vivable.
Nous n’y sommes pas. Deux jours après la publication d’un troisième rapport du GIEC, le gouvernement fédéral autorisait Equinor, une société norvégienne, à exploiter le projet pétrolier Bay du Nord au large de Terre-Neuve et Labrador. Cette bombinette de 400 Mt de CO2, on nous assure, sera « la plus propre du pays » et l’exploitant sera assujetti à l’obligation de « rendre son exploitation neutre en carbone » d’ici 2050.
Les argumentaires fallacieux basés sur des croyances et ignorant la science doivent être dénoncés. Un baril extrait, c’est un baril brûlé. Les décideurs qui aujourd’hui, auprès des États, des banques ou des industries persistent à faire détonner de nouvelles bombes carbones sont de « dangereux radicaux » pétris de croyances et frappés par la « folie économique et morale » prévient Antonio Guterres.
Les associations de protection de l’environnement Equiterre et la Fondation Sierra Club poursuivent le ministre canadien de l’Environnement et du climat Steven Guilbeault pour sa décision d’autoriser Bay du Nord. Lorsqu’on se souvient que Steven Guilbeault est le co-fondateur d’Equiterre, le futur procès ne manquera pas de piquant.
En attendant, disons les choses : Non, un état pétrolier ne peut pas être un leader du climat. Non, un projet d’hydrocarbure n’est pas neutre en carbone. Oui, au Canada, nous sommes assis sur une bombe climatique de 39 giga tonnes. Nombre de projets pétroliers et gaziers doivent être désamorcés.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’Albor Pacific et EcoNova Education Conseiller des Français.es de l’étranger