Le manque de visibilité et les préjugés freinent l’essor de la cuisine africaine en Colombie-Britannique. Samuel Olayinka et Deresse Lekyelebet, deux défenseurs de ce trésor à Vancouver, évoquent également d’autres obstacles. Malgré tout, le futur de la cuisine africaine semble prometteur.
Elle a pourtant tout pour elle. « La cuisine africaine est très variée. Où que vous alliez sur le continent, les plats sont différents », explique Deresse Lekyelebet, chef et propriétaire du restaurant éthiopien Fassil depuis seize ans. Il s’empresse de rajouter que « l’un des plats les plus populaires est végétarien. À Vancouver, c’est ce que le public aime. » Pour le chef et propriétaire du restaurant Arike, Samuel Olayinka, son atout majeur réside dans son authenticité. « Au fond de moi, j’ai toujours pensé que cette cuisine était plus intacte », ajoute-t-il.
De père nigérian et de mère néerlandaise, Samuel Olayinka encourage la cuisine nigériane, métissée aux saveurs locales depuis 2019 à Vancouver. Si Deresse Lekyelebet vit à Vancouver depuis plus longtemps sur la côte Ouest, il s’accorde avec les observations du jeune chef concernant la cuisine africaine en Colombie-Britannique.
Une visibilité à travailler
Premier constat et même son de cloche chez les deux restaurateurs : la dizaine de restaurants africains à Vancouver n’offre pas assez de visibilité à la restauration africaine.
« Il y a trop peu de restaurants africains pour que les gens puissent essayer », explique Deresse Lekyelebet. Pour Samuel Olayinka, une plus grande exposition est toujours bénéfique et le temps fera son œuvre : « Il y a beaucoup plus de restaurants japonais, vietnamiens, indiens et même cambodgiens. J’ai un ami qui gère un restaurant cambodgien, personne n’aurait pensé que ça marcherait mais c’est bondé tous les jours. Plus on enracine la cuisine, plus les gens sont habitués à ça et c’est plus prédominant. C’est une combinaison de facteurs ».
Les deux restaurateurs sont aussi d’accord sur le fait que la communauté a une cuisine encore sous-représentée. « Sur la côte Est, là où il y a de plus grandes communautés africaines, je dirais que le public est plus exposé à ce type de cuisine et qu’ils ont moins d’a priori culinaires », explique Samuel Olayinka. Pour le chef et propriétaire d’Arike, les Africains sont aussi sous-représentés sur les bancs des écoles de cuisine, bien que l’intérêt commence à grandir, selon le chef : « À mon avis, les Noirs africains sont plus curieux de cette industrie. C’est bon à voir. Il y a un essor des chefs noirs aux États-Unis ».
Des stéréotypes encore ancrés
« J’ai grandi dans un contexte particulier, d’une seconde génération africaine installée au Canada.
Même à l’école de cuisine, je vois très peu de Noirs et d’Africains. Mon père voulait que je sois plutôt avocat ou médecin. Avant que je ne me professionnalise, il pensait que c’était un passe-temps. En général, au Nigéria, dans les classes moyennes, si un fils ou une fille dit qu’il ou elle veut être chef, les parents diront non ou alors que c’est une mauvaise idée, d’aller plutôt faire du droit ou de la médecine », précise Samuel Olayinka.
L’éducation du palais pourrait être le remède à ces préjugés à la peau dure. « Les gens sont hésitants. Vous devez savoir que le stéréotype est là. Pour certaines personnes, même le fait d’essayer est difficile », selon Deresse Lekyelebet. Mais de l’expérience de Samuel Olayinka qui est passé par Relais et Châteaux et Bacchus à Vancouver, « il n’y a pas d’autre cuisine qui arrive à ce niveau, avec ces mélanges et cette variété, comparé à ce que je fais avec la cuisine africaine ».
Les fournisseurs, point noir dans le système
Les deux restaurateurs s’accordent sur le problème d’approvisionnement qui touche l’industrie de bouche africaine au niveau local : « Les ingrédients doivent venir de l’Éthiopie, surtout les épices. Même si vous les trouvez ici, leur goût est différent. D’habitude, on les importe du pays. On les achète dans de petites boutiques ici », explique Deresse Lekyelebet. Il poursuit : « Le pain injera requiert du temps et doit être cuit dans un plat spécial. C’est de là que vient son goût particulier », car l’équipement professionnel diffère parfois également.
« Le marché n’est pas assez grand pour les fournisseurs. Il n’y a pas de marché frais. Pour ma part, mes épices proviennent d’un petit magasin qui les a directement de l’Afrique de l’Ouest, ce qui est très bien. J’aime soutenir ces petits commerces. Ils participent à l’économie et à la société. Mais ça limite aussi l’expansion de ces restaurants africains parce qu’il n’y a pas assez de fournisseurs, pas assez de commercialisation à grande échelle. Mais ça peut être une bonne ou une mauvaise chose », ajoute Samuel Olayinka. Il souligne cependant que certains entrepreneurs développent des condiments en Amérique du Nord.
Tournés vers le partage
Samuel Olayinka espère vraiment voir plus de restaurants africains. « Parfois, les restaurateurs développent une amitié et certains collaborent, notamment pour innover et aussi pour rassembler la communauté. J’aime cette idée. Personnellement, je ne peux pas le faire mais ce serait bien de voir d’autres restaurants converser mais ça prend du temps et c’est un sacrifice. Mais ça peut s’avérer très gratifiant. Et je pense que cette cuisine est vraiment un trésor. À cause de l’histoire de l’Afrique, de la colonisation, d’épices venant de l’esclavage, ça a formé un gros creuset d’ingrédients. C’est énorme ».
« Notre communauté constitue le plus gros de nos clients mais nous sommes ouverts à tous. Nous avons une façon très particulière de partager nos plats. C’est un moment de partage, de rires, de communion. J’offre une expérience à mes clients, je souhaite leur montrer la façon dont on partage un plat chez nous », explique Deresse Lekyelebet, en faisant référence au Gursha, la manière dont on nourrit un proche.
L’avenir de la restauration africaine s’annonce prometteur. « Ça prendra du temps mais il y a un très gros potentiel », conclut Samuel Olayinka.
Site internet d’Arike : www.arikerestaurant.com
Site internet de Fassil Ethiopian Restaurant : https://fassil.ca