Cire, catacombes et martyrs

« Que penser du phénomène éphémère des figures saintes de cire, qui sont maintenant largement abandonnés par les églises catholiques ? », s’interroge Bonnie Effros, chef de département et professeure d’histoire à la Faculté des arts de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC).

C’est dans cet esprit que la professeure présente Preserved in Wax: Catacomb Martyrs, Piety and Politics in Post-Revolutionary France au Green Collège de UBC, fin novembre.

Une présentation du Preserved in Wax: Catacomb Martyrs, Piety and Politics in Post-Revolutionary France au Green Collège de UBC. | Photo par Bernard Bourbonnais, de Musée régional de Vaudreuil-Soulanges

« Aujourd’hui, en France, il existe encore de rares exemples de saints en cire comme Thérèse de Lisieux et Vincent de Paul, pour nommer les plus connus. Ils donnent l’impression d’être encore vivants (mais de dormir). Ces deux figures sont reconnues pour leur sainteté et la vie religieuse des siècles récents. Elles attirent les fidèles à cause de leur vie et non seulement leur apparence », souligne Mme Effros.

D’autres exemples existent, tel que Léonce en France (un des plusieurs centaines qui arrivaient en France à cette époque) mais aussi au Canada, comme saint Zotique (mort en 350) lui aussi un gisant en cire peu connu, transféré à Montréal en 1844.

Préservation des saints par la cire

Suite à des fouilles archéologiques dans les années 1830, 1840 et 1850, des gisants de cire ont été extirpés des catacombes avec très peu d’ informations à leur sujet.

La pratique de modeler avec de la cire la forme humaine en Europe a eu tendance à se concentrer soit sur l’art de la modélisation anatomique au début de la Naples moderne (ville de l’Italie, où se trouvent des vestiges romains et grecs de l’antiquité) soit sur l’essor du divertissement dans les musées de cire tels que ceux de Madame Tussaud. Les effigies de cire sont réalistes et commémorent les anciens martyrs présumés (terme appliqué aux chrétiens du premier siècle qui eurent à affronter la persécution et la mort pour défendre leur foi) et les saints de l’Europe occidentale au XIXe siècle.

Cette pratique a plus tard été importée de l’Italie vers la France, et deviendra une forme d’expression religieuse catholique très populaire. La circulation de cette pratique a été encouragée en France par des ecclésiastiques ultramontains (les ultramontains en France reconnaissent la suprématie du Vatican qui se situe au-delà des montagnes des Alpes, sur les clergés locaux) et par Dom Prosper Guéranger (1805–1875), un moine bénédictin très influent, auteur du célèbre ouvrage L’Année liturgique.

Peu de documentation, beaucoup de questions

C’est suite à la lecture de lettres écrites en 1837 entre Prosper Guéranger, le refondateur de l’abbaye de Solesmes et restaurateur de l’ordre des Bénédictins en France, et la comtesse Swetchine, émigrée russe réfugiée en France après s’être convertie au catholicisme, que Bonnie Effros décide de se pencher sur le sujet des reliques en cire et leur fonction dans la vie religieuse en France ainsi que leur succès.

« L’abbé lui a écrit qu’il avait reçu un cadeau du pape Grégoire XVI des reliques de saint Léonce, jusqu’à ce temps un saint inconnu mais récemment découvert dans les catacombes romaines. Dans ce cas, les reliques étaient préparées dans le “style italien”, non comme les restes d’ossements mais dans le format d’une figure de cire, vêtue de beaux vêtements, qu’il envoya à son monastère de Solesmes », précise la professeure.

Quel sens donner à ce genre de reliques de martyrs inconnus qui donnaient l’apparence, grâce à de la cire et des vêtements, d’être des personnes vivantes ? Pourquoi l’abbé Guéranger a-t-il amené Léonce à Solesmes ? Pourquoi le martyr n’est-il jamais devenu le centre du culte ? Ces questions sont au centre de l’étude de Bonnie Effros. Léonce et autres martyrs des catacombes, sont très souvent peu ou pas documentés dans les sources historiques.

Selon la professeure, il serait possible que Grégoire XVI et le Pape Pie IX (1792–1878) utilisaient ces dépouilles à des fins diplomatiques, voulant ainsi encourager la loyauté à Rome à une époque incertaine pour la papauté.

L’exposé sur la forme d’art éphémère dans le contexte de la pratique religieuse ultramontaine en France, aura lieu le 23 novembre 2022 au Green College, UBC.

Pour plus d’information visitez: https://greencollege.ubc.ca/civicrm/event/info%3Fid%3D1515%26reset%3D1