Un 14 janvier 2023, il fait quatorze degrés, la concentration en dioxyde de carbone de l’atmosphère est élevée : elle indique « 419 ppm ». Rien n’est plus normal. Ni l’hiver, ni l’été, ni la Conférence des parties sur le changement climatique qui a accouché d’une souris en Égypte, ni celle sur la protection de la biodiversité de Montréal qui n’a qu’à peine été commentée. Dans un monde normal, tous les efforts devraient être tournés vers les enjeux écologiques. Pour que notre seule et unique planète Terre reste belle et bien vivable.
En 2030, dans ce futur proche où tout est en train de changer, les imaginaires se sont accordés avec les faits, l’économie avec l’écologie, et la politique avec les réalités scientifiques. Vancouver est enfin devenue la ville la plus verte au monde. Elle doit son tout nouveau prestige international à la détermination d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes arrivée aux affaires.
Mais où sont passées les voitures ? Je croyais qu’en 2030 tout le parc automobile serait électrique, silencieux et automatisé. Au lieu de ça, je vois une toile urbaine qui grouille de cyclistes. Un miracle ? Une utopie arriérée ? Une blague ? Pas tout à fait.
Au début des années 2020 marquées par l’épidémie mondiale de la COVID-19, la ville est devenue impraticable. Polluées, bruyantes, encombrées de jour comme de nuit, les ventes de voiture se sont envolées lorsque, pour échapper aux virus, chaque habitant s’est équipé d’une auto thermique, hybride ou électrique. Tantôt nommé « trafic et surpopulation », tantôt « infrastructures sous-dimensionnées » le problème était bien plus simple : il y avait trop de voiture à Vancouver, et pas suffisamment d’imagination.
C’est à partir de l’an 2023 que tout a changé. À mesure que « Raincouver » devenait de moins en moins pluvieuse sous l’effet d’un climat détraqué, les deux roues ont commencé à envahir la ville. Le vélo, ce moyen de locomotion ancien alliant le plaisir de la liberté et la sobriété écologique, a fini par l’emporter.
Depuis 2026, les écoles remettent à chaque élève de quinze ans un magnifique vélo en acier, donc réparable, freins à disques et sacoches pour l’aventure, les jeunes Vancouvérois sont si ravis de leur monture qu’ils inondent la ville. Non pas les pistes cyclables, mais bien la ville. Chaque rue du parc Stanley à Marine Drive, de UBC à l’avenue Terminal, les cyclistes ont reconquis l’espace urbain.
Pour protéger ces fragiles usagers, les lois ont été changées. Quelle que soit la vitesse ou la couleur des feux, le véhicule le plus léger a toujours la priorité sur le véhicule le plus lourd et le plus dangereux. Circuler en voiture en ville est toujours possible, mais tout à fait déconseillé par chaque assureur et les policiers.
Pour en arriver là, des débats ont eu lieu. Les automobilistes organisés en association pour
« la liberté de rouler » étaient soutenus par les concessionnaires et les pétroliers. Ils arguaient que si un tel projet était passé, les cyclistes – bien connus pour leur goût du risque, de la vitesse, et leur indiscipline – instaureraient le chaos, que les personnes âgées ou handicapées, comme les familles avec un jeune enfant n’auraient pas d’autre choix que de rouler en voiture dans cette ville hostile.
Les arguments étaient faibles et les réponses à leurs craintes nombreuses. Le comportement des cyclistes s’est avéré exemplaire. Et l’économie locale a fleuri. Certains citoyens sentant le vent tourner se sont mués en entrepreneurs pour offrir des services à domicile, des services de livraison innovants et des crèches de proximité. Les Vancouvérois libérés des budgets voiture ont le bonheur de soutenir l’économie locale tout à fait en santé.
Bien sûr, on trouve encore des SUV et même des pick-up pas toujours électriques. Les services de réparation, d’entretien, les taxis et les paysagistes ont obtenu les dérogations. Et pour profiter de ce que la région a toujours à offrir comme la randonnée, le kayak ou encore le camping, les applications d’auto-partage pullulent. Nous n’avons aucun mal à Vancouver à allier les bonheurs d’une ville piétonne et cyclable avec les plaisirs des grands espaces britanno-colombiens.
Cette histoire à succès doit beaucoup aux « milleniaux », cette génération de jeunes gens venus des quatre coins du monde est à la fois la plus éduquée, la plus mobilisée et la plus branchée de l’histoire. Elle est parvenue à tout changer en s’appuyant sur les victoires précédentes. Les dimanches sans voiture, les marches pour le climat, les actions en justice et les campagnes pour la sobriété ont été autant de petits pas vers une
« ville soutenable ».
Aloïs Gallet est co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et Conseiller des français de l’étranger //
alois.gallet@conseillerconsulaire.ca