L’obsession

Tout commença innocemment. Une simple manchette, publiée le 18 février en première page, fait allusion, à partir de documents provenant du SCRS (Service canadien du renseignement de sécurité) de l’ingérence de la Chine dans nos affaires. Puis, après une journée de repos, dimanche oblige (pas de publication), vint l’hécatombe. Du lundi 20 février, sans arrêt, sans exception, jusqu’au jour où je pensais avoir fini d’écrire ma chronique, le Globe and Mail n’a cessé de publier à la une, en première page, des articles touchant l’empire du Milieu avec quelques variations dans les titres faisant tantôt référence à « China » tantôt à « Chinese » selon le goût du jour. Il a fallu attendre le 1er mars, date de tombée de ma chronique, pour que ce jeu cesse.

Il est vrai que la Chine n’est pas sans reproche et ses tactiques ou techniques d’interventions doivent être non seulement dénoncées mais surtout découragées, sinon contrées. Aucun doute là-dessus. Ne pas oublier non plus, en contrepartie sans vouloir l’excuser, que la Chine n’est pas la seule puissance à agir ainsi. Les services de renseignements et d’espionnage qu’ils soient russes, américains, européens et sans doute canadiens ne restent pas les mains croisées quand ils estiment que le jeu en vaut la chandelle. Les possibilités d’intervenir dans les affaires d’autres pays sont infinies et les experts en la matière ne manquent pas d’imagination. Le tout c’est de ne pas se faire prendre ou alors faire semblant de s’offusquer et de nier si d’aventure l’état fautif est pris la main dans le sac comme cela semble être le cas avec la Chine.

Non, je n’en veux pas au Globe de dénoncer l’intervention de la Chine aux cours des élections fédérales 2021. Loin de là. Non, ce que je reprochais, c’était son acharnement, son obsession sur le sujet sans en mesurer les répercussions. Certaines de ses manchettes auraient pu facilement se retrouver en troisième page ou ailleurs. Selon mon humble opinion, toutes ces manchettes ne méritaient pas de faire la une. Celle entre autres du 23 février qui titrait Freeland warned bank founders about risk of Chinese coercion aurait pu se retrouver dans la section business du journal. Celle du 22 février, dans laquelle il était question de bouées chinoises d’espionnage utilisées dans l’arctique canadien, aurait très bien pu se faire une place dans la section arts, spectacles et divertissements (j’ironise). À tort peut-être, je soupçonne le Globe d’avoir pensé tenir le bon filon et de profiter de cette aubaine afin de l’exploiter ad nauseam quitte à friser le sensationnalisme. Il va sans dire que pareille vision peut vous mener à une terrible obsession.

Cette obsession n’est pas sans conséquence. Rappelez-vous les origines du Corona virus (la ou le Covid-19). La Chine était continuellement pointée du doigt en tant que responsable de la pandémie qui s’ensuivit. Qu’avons-nous observé ? Une montée du racisme, des actes de violence envers la communauté d’origine chinoise ici à Vancouver et partout ailleurs. Cette obsession dont a fait preuve le Globe représente un véritable danger. Elle peut stigmatiser une population qui n’est pour rien aux activités d’espionnage de Pékin. Les médias ont donc une grande responsabilité quand il s’agit de transmettre leurs informations. Prudence, conscience et sensibilité devraient prévaloir.

À titre purement personnel, qu’ai-je retenu du rapport du SCRS ? Pas grand-chose sinon que le service canadien de renseignement accuse la Chine de se mêler de nos affaires sans avoir reçu auparavant notre permission. Ceci, en utilisant les outils dont son service d’espionnage dispose. La panoplie de ces exactions ne devrait surprendre personne si, tout comme moi, vous avez suivi les aventures de James Bond ou lu les livres de John le Carré. Cela comprend notamment les suspects traditionnels : soudoiement, extorsion, chantage, pot de vin, cyber-attaque et, comme de raison, ne pas oublier la séduction sexuelle. Cette dernière a retenu mon attention. Je n’ai pu m’empêcher de froncer les sourcils qui, chez moi, je dois l’admettre, sont assez touffus. Depuis je ne sais pas comment réagir lorsqu’une personne d’origine chinoise, comme c’est le cas de la caissière au supermarché que je fréquente, me sourit et me parle gentiment. Dois-je maintenant me méfier d’elle ? Est-ce une Mata Hari envoyée par Pékin ? Dois-je l’éviter ? Dois-je la dénoncer à une agence de sécurité canadienne ? Dois-je l’ignorer et me diriger plutôt vers une personne carrément antipathique qui sans doute se fera un plaisir de me rejeter ?

L’obsession, la stigmatisation, la méfiance, vous n’avez aucune idée où ces attitudes peuvent vous mener. C’est d’elles dont on doit se méfier. Heureusement en ce mercredi 1er mars le Globe a changé de ton. Certes le sujet est toujours là, à la une, mais, pour la première fois, les mots « China » et « Chinese » ont disparu du titre. Comme quoi il n’est jamais trop tard pour bien faire.