À l’Ouest, publier des auteurs franco-canadiens exige des reins solides !

Photo : Regroupement des éditeurs franco-canadiens

Aborder la situation et les perspectives du livre francophone dans l’Ouest canadien avec des éditeurs, auteurs et libraires, à l’occasion de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur (23 avril), ne manque pas de soulever le malaise profond quant à l’avenir incertain de cette composante, si essentielle à la vigueur de la diversité culturelle canadienne. Et pourtant, quelques signaux de vie incitent à l’optimisme…contre vents et marées anglophones.

Les faits d’abord. Du côté du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC), la production annuelle de ses 15 membres oscille entre 120 et 150 titres pour les livres de littérature générale; ce nombre augmente jusqu’à 200 titres si on y inclut les livres à caractère pédagogique. Selon les responsables de cet organisme, cette activité ne se mesure toutefois pas seulement en nombre mais aussi en qualité. Malgré son poids relativement minime dans l’industrie canadienne du livre (150 titres sur une production annuelle de plus de 5 000 titres en langue française), l’édition franco-canadienne compte de plus en plus dans le paysage littéraire canadien. « En témoigne l’obtention de prix littéraires majeurs tels les prix du gouverneur général. Plus largement, on peut dire aussi que les éditeurs membres du Regroupement contribuent à l’édification d’une littérature qui n’existerait pas autrement », soutiennent-ils.

« Repousser l’horizon »

Pour cette année, la directrice générale de cette association, Piedad Sáenz, souligne notamment la publication du catalogue « Repousser l’horizon » qui vise à mettre en valeur la richesse et la diversité de la littérature franco-canadienne à travers tout le pays. Il s’agit d’une sélection de titres publiés par les maisons d’édition membres du REFC, classés selon différents genres et thèmes : Premières Nations, diversité et culture, théâtre et poésie, fiction, nouvelles et récits de voyage, romans, essais, etc. Piedad Sáenz évoque la mission du REFC créé dans le but de permettre aux éditeurs francophones actifs à l’extérieur du Québec de mener des actions concertées dans le domaine de la commercialisation, de la promotion, de la représentation et de la formation. Elle s’attarde sur les innombrables défis à relever pour assurer la pérennité des évènements littéraires à travers le Canada et en premier lieu les Salons du livre, vu l’augmentation continue des coûts de l’organisation de ces rendez-vous et notamment les coûts du transport. « Alors que les subventions et les aides accordées ne suivent pas cette augmentation », déplore-t-elle.

Abordant la situation et les perspectives de la littérature francophone dans l’Ouest canadien, elle note la rareté des évènements littéraires, autres que les Salons du livre tel que celui de Vancouver, pour faire la promotion des œuvres franco-canadiennes dans cette partie du pays où le lectorat francophone et francophile se fait de plus en plus rare. Cette responsable note, entre autres, la nécessité de créer une association qui regrouperait les auteurs franco-canadiens de toutes les provinces de l’Ouest. « Ce serait très bénéfique pour renforcer l’élan solidaire et mettre en commun des ressources », avance Piedad Sáenz. Elle se réjouit du courage et de la détermination des éditeurs francophones notamment dans l’Ouest canadien qui, en dépit des conditions défavorables, se lancent dans des projets d’édition audacieux pour l’amour de la culture dans la langue de Molière.

Pour l’humour du français

Parmi ces courageux aventuriers, soulignons le projet des Éditions de l’Épaulard, lancé en 2018 par André Lamontagne, ancien professeur de littérature à l’Université de la Colombie-Britannique et premier directeur du Centre de la francophonie de cette université, et Réal Roy, professeur de biologie à l’Université de Victoria. Cette maison d’édition publie des ouvrages dans les domaines des sciences humaines et naturelles. Elle vise à « favoriser la diffusion d’ouvrages enracinés dans la diversité de l’Ouest canadien ». André Lamontagne se réjouit de la belle réception du premier livre publié en 2019 par sa maison d’édition. Intitulé Pour l’humour du français, cet ouvrage signé Annie Bourret est composé de brefs essais techniques, patraques ou loufoques qui témoignent de la richesse et de la diversité des parlers français d’ici et d’ailleurs. Avec rigueur et humour, l’auteure nous renseigne sur l’étymologie de certains mots et expressions, les détours parfois inusités de la grammaire et les pièges du français en milieu minoritaire. « Malheureusement, la pandémie nous a empêchés de faire comme il se doit la promotion de ce premier-né », se désole André Lamontagne.

Les rendez-vous du Regroupement des éditeurs franco-canadiens. | Photo : Regroupement des éditeurs franco-canadiens

Pour des subventions plus équitables

L’éditeur annonce, toutefois, deux prochains projets de livres dans les domaines de l’éducation et de la littérature. Cet homme de lettres qui a reçu la Médaille souveraine du gouverneur général pour sa promotion de la langue française au Canada et a été nommé Chevalier dans l’Ordre des palmes académiques par le gouvernement français pour sa contribution à l’éducation et à la culture francophones, évoque la nécessité de rendre plus accessibles les programmes de subvention et d’aide à l’édition. « Pour accéder au programme de subventions du Conseil des arts du Canada, par exemple, il faut avoir déjà publié cinq ouvrages à ses propres frais. C’est une condition qui est plus difficile à remplir en Colombie-Britannique qu’au Québec où il y a d’innombrables librairies francophones et un système de diffusion très efficace », précise-t-il. Il estime qu’il faudra donc revoir ces conditions en tenant compte des spécificités régionales pour les rendre plus justes pour les éditeurs et auteurs francophones dans des milieux minoritaires. Aussi, il mentionne toute la difficulté de faire la concurrence aux bestsellers français et québécois dans les devantures des librairies au Québec et dans les provinces où il y a un substantiel lectorat francophone.

« Bref, pour se lancer dans l’édition francophone dans l’Ouest canadien, il faut être prêt aux sacrifices, avoir beaucoup de bonne volonté et surtout avoir les reins solides financièrement », conclut-il, sourire aux lèvres.

Pour plus d’information visiter :
https://editionsepaulard.ca
https://refc.ca