Cela fait déjà quatre longues semaines que le thermomètre refuse de descendre en dessous des 25 degrés. Un dôme de chaleur s’est abattu impitoyablement sur la ville, tandis que les colonnes de fumée venues du nord et de l’est menacent de nous recouvrir. Le Protocole Oxy a été enclenché. Dès que le mercure dépasse les 24 degrés et que l’humidité chute sous les 15%, le Parc Stanley, qui est aussi le poumon de la cité, devient une poudrière prête à s’embraser. Des volontaires sentinelles se sont déployés dans le parc à l’affût de la moindre étincelle susceptible de tout vaporiser.
Malgré d’immenses efforts fournis en faveur du climat, le Canada perd encore chaque printemps des millions d’hectares de sa forêt boréale. Depuis les incendies de Fort McMurray et de Lytton, on sait que l’on offre aussi des maisons aux flammes. Les dommages matériels et sanitaires sont devenus insoutenables. La colère monte. Miracle parmi les drames, aucun décès humain n’est à déplorer. La faune sauvage quant à elle, paie un tribut aussi injuste que considérable.
Ce soir, le Palais des Congrès accueille la cérémonie d’ouverture d’une conférence internationale de crise : la COP Fire 00. Des milliers de professionnels seront réunis pendant vingt-cinq jours dans le but d’unir leurs forces afin de prévenir et de combattre les ravages des incendies. Le discours d’ouverture de ce soir est particulièrement attendu.
Certains participants ont voyagé depuis des semaines. Maires, médecins, communicateurs, diplomates, pompiers… nombreux ont entrepris un long périple en bateau, en train et à vélo. Leur présence force le respect. C’est une commission spéciale composée de dignitaires autochtones qui organise la conférence. Le premier orateur a été choisi avec la plus grande des précautions. On a jugé que pour bien débuter cette conférence, il fallait bien faire comprendre ce qu’est le feu. L’écrivain de 68 ans s’est taillé une réputation de spécialiste mondial des forêts anciennes, du tigre de Sibérie et des méga feux albertains.
Le caractère de feu
John Vaillant se tient devant tous, le bâton de parole à la main. La salle entière semble hypnotisée, comme des enfants sagement assis en cercle, attendant avec impatience le récit de l’ancien.
« Mesdames et Messieurs », commence-t-il solennellement, « Nous sommes réunis sur le territoire traditionnel et non cédé des peuples Salish, Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. ». Il continue « Je vais tâcher de vous révéler le visage complexe et la nature profonde des feux. Prenez garde, cet ennemi destructeur est aussi celui à qui nous devons la vie : il nous opprime aujourd’hui, mais il nous a fait hier. »
« Au départ, sa destinée dépend du triptyque ‘carbone, oxygène, chaleur’ » et, d’un geste rapide, il gratte un objet sur son pupitre, une étincelle visible depuis le fond de la salle crépite. « Avec une chaleur suffisante, toutes les matières peuvent s’embraser. Pour de l’herbe, comptez une allumette. Pour un résineux bien sec, la foudre sera votre Usual Suspect ! Une fois viable, le feu grandit, il respire, il se nourrit. Peut-on dire qu’il est vivant ? En tout cas, je crois fermement qu’il est animé. Un feu aspire, on pourrait même dire qu’il désire. Il désire pyrolyser et vaporiser tous ceux qu’il croise. Passionnément, inlassablement, et insatiablement. Les braves gens de Fort McMurray m’ont juré que si ce salopard n’avait aucune intention, il avait assurément un caractère. Terrible ! Il se comporte telle une bête mythologique qui se serait réveillée ».
Le jugement ardent
John continuera sur sa lancée deux heures durant devant un public médusé. Son récit aura convaincu chacun : le sort des forêts canadiennes, russes ou brésiliennes concerne toute l’humanité. Dans les tourbillons de fumée toxique, nous avons collectivement compris que les forêts étaient notre oxygène. L’imprudence qui a conduit hier à souiller l’atmosphère, risque demain de nous asphyxier.
Face à la colère, la commission autochtone chargée de distribuer les badges a pris grand soin d’exploiter les bases de données des GAFAM. Des lobbyistes, industriels, politiciens ou financiers ayant collaboré de près ou de loin avec l’économie fossile par le passé… pas un ! ne franchira la porte de la conférence.
Persona non grata! Les anciens professionnels des énergies fossiles agonisent. Humiliés devant les tribunaux, ils sont aux yeux des communautés les grands coupables de la calamité incendiaire. Mais cette semaine, le temps n’est pas aux procès. Au temps des feux, nous autres Canadiens sommes très attendus pour proposer des solutions. De cette conférence pourrait naître une organisation internationale des pompiers.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et conseiller des français de l’étranger