Le manifeste yaka

À la veille de prendre de longues vacances, il m’a semblé raisonnable de ne pas partir en vous laissant les mains vides. Voici donc une chronique qui durant mon absence devrait vous donner matière à réflexion.

Au début du siècle dernier, le mouvement dadaïsme prenait forme sous l’impulsion de quelques intellos et artistes désireux de rompre avec l’ordre établi. Ce beau monde remettait en cause les conventions et toute forme de contraintes idéologiques, esthétiques et politiques. De cette réaction anti-établissement de l’époque un manifeste dada, signé par Tristan Tzara, sortit.

Quelques années plus tard, toujours au XXe siècle, un autre manifeste « Le Refus global » fruit d’une réflexion d’artistes du groupe des Automatistes, dont Paul-Émile Borduas et Jean-Paul Riopelle faisaient partie, vit le jour. Le texte remettait en question, tout en les rejetant, les valeurs traditionnelles de la société québécoise en faveur d’une vision plus universelle et plus moderne.

Un peu moins d’un siècle plus tard, j’estime absolument nécessaire, histoire de nous sortir du marasme existentiel dans lequel nous nous trouvons, de rédiger à mon tour un bref manifeste qui n’a rien à voir avec ceux cités préalablement. Ce que je propose ici n’est ni plus ni moins qu’un futile exercice me permettant de perdre mon temps en faveur d’aucune bonne cause dont vous avez le droit de questionner l’utilité. Ma démarche, gratuite en apparence, mérite quelques précisions.

Le mouvement yaka est un remède indispensable face à toutes sortes de casse-tête.

Des années durant, par crainte de me faire rabrouer, j’ai tenté d’éviter les sujets qui auraient pu prêter à controverse. Que ce soit dans les réunions de famille ou lors de réceptions auxquelles j’étais invité, ma tendance consistait à parler de la pluie et du beau temps, évitant ainsi de me mouiller même les jours d’intempérie. Ma devise : « mieux vaut manquer d’intérêt si cela rapporte », m’a longtemps servi de guide. Pas question donc de secouer le cocotier. Déjà très jeune, mes parents et mes instituteurs ne cessaient de me répéter à longueur de journée « Peux-tu rester tranquille ? ». J’ai cru bon d’obéir. Leur besoin d’ataraxie valait bien ce sacrifice.

Aujourd’hui il n’en est plus de même; je tiens à m’affirmer. Au risque d’être mis au pilori, je me sens prêt à aborder des sujets sensibles, délicats. Non sans fierté, j’ose dorénavant prendre les patates chaudes à pleines mains sans me préoccuper du lendemain. Mon changement d’attitude, ma transformation, m’ont poussé à sortir le manifeste qui suit; œuvre unique en son genre.

Je proclame solennellement la création du mouvement yaka, une entité à but non lucratif chargée de simplifier la vie des gens. Pour ce faire, yaka propose l’utilisation automatique de la locution nominale y’a qu’à en tant qu’outil de dépannage dès l’apparition de difficultés à priori insurmontables. Y’a qu’à propose des solutions en tout temps à tout moment. Quand bien même vous ne savez pas comment vous en servir, yaka est là pour vous servir

Exemple concret, très canadien : vous ne voulez pas que Pierre Poilievre devienne premier ministre ? Y’a qu’à croiser les doigts pour qu’il ne passe pas. Vous voyez c’est aussi simple que cela. Vous ne voulez plus entendre parler de Donald Trump ? Ce n’est pas compliqué : y’a qu’à l’enfermer pour qu’il la ferme. Vous désirez mettre fin au conflit Russo-ukrainien ? Employez les grands moyens : y’a qu’à demander à Poutine d’écouter Mozart et non Wagner. La crise du logement ? Y’a qu’à loger les sans-logis.

Le mouvement yaka est un remède indispensable face à toutes sortes de casse-tête. Il est très yaka aussi d’utiliser y’a qu’à en cas de cas d’excès de y’a qu’à. D’autre part, si vous n’arrivez pas à trouver chaussure à votre pied, ce n’est pas grave; y’a qu’à marcher pieds nus. Vous n’arrivez pas à remettre les pendules à l’heure ? Pas de souci; y’a qu’à vous trouver un passe-temps.

Ce document ne remet rien en cause et, globalement ne se refuse aucun plaisir. Il représente la volonté d’une partie de la minorité invisible de ne rien entendre, de ne rien dire et de ne rien voir, avant de franchir décoiffé sur le fil d’arrivée l’ultime étape précédant le jugement dernier. Son intention ne se veut pas méchante mais souffre d’un besoin ludique de se faire valoir. Il ne désire offenser personne et se donne le privilège de n’être associé à aucun des candidats à la prochaine élection du futur souverain pontife.

Qui dit y’a qu’à devient, sans le savoir et sans en avoir fait la demande, membre à part entière du mouvement yaka. Y’a qu’à bien se tenir et surtout bien réfléchir avant de s’inscrire.

Je dois maintenant plier bagage jusqu’au 22 août. Au cas où vous vous poseriez la question : non, ce document n’a pas été rédigé sous l’effet de l’alcool ou de toute autre substance hallucinogène.