Septembre 2030, Vancouver.
Aujourd’hui est le premier jour d’école en Colombie-Britannique. C’est aussi le début de l’automne selon les anciens manuels scolaires. Mais il faut bien avouer qu’on se croirait encore en été. Le soleil est toujours fort en journée, le ciel est d’un bleu resplendissant quand il n’y a pas de fumée, et les arbres feuillus offrent encore de généreux ombrages. Les feuilles sont jaunies dessus et tachetées dessous. De loin elles rappellent les couleurs pourpres et oranges de l’automne. De près, elles expriment davantage le supplice d’un été bien trop chaud et bien trop sec. Il n’a pas plus depuis le mois de mai.
Dès 8 h ce matin, les familles, les élèves et les curieux se massent devant les écoles comme on se masse pour écouter le tribun. L’audience, visiblement ravie d’être réunie, est largement casquée car venue à vélo ou à pied. Depuis plusieurs années, les abords des écoles ont été piétonnisés. L’époque où les parents conduisaient les enfants à l’école en voiture générant des embouteillages et de la pollution semble lointaine ce matin. Certains en plaisantent bien volontiers.
« Quand on y pense, Jordan, nos parents transportaient nos petits corps de quelques dizaines de kilos dans ces machines de quelques milliers de kilos ». « C’est fou ! ». « Et quand je repense à leurs amis qui croyaient que tout continuerait toujours comme avant grâce à la voiture électrique ». Jordan hoche la tête pour témoigner son accord. « Mon ami » reprend-il « Tu sais, je me dis si de leur époque tout le temps à courir après le temps ou après l’argent, est-ce que vraiment ? Ils pouvaient se rendre compte de… comment tu dis. Ah oui, se rendre compte de leur niaiserie ? ». Son interlocuteur sourit. Jordan est satisfait de cet échange en français.
Sur le parvis, tout ce monde est réuni pour assister à la révélation du nouveau nom de l’école. Dans quelques instants, le drap qui recouvre le fronton va tomber. Voici la directrice de l’école et son équipe qui vont prendre la parole. « Chers tous et chères, toutes… bonne rentrée 2030 ! Sans plus attendre, vous allez découvrir le nouveau nom de votre école ». Tirant sur la corde de jute tressée, le drap blanc qui recouvre le fronton s’écroule et révèle le nom inscrit en grandes lettres capitales blanches sur fond de briques rouges. La foule frémit un instant. On peut y lire : « ÉCOLE DU PARTAGE ».
Deux petites secondes. C’est tout ce qu’il aura fallu avant que ne fusent les cris d’approbation. « YEAH » rugit un père depuis l’arrière. Des centaines de visages, les yeux plissés de plaisir semblent acquiescer. Entre les sifflements et les applaudissements, ce jour de rentrée commence bien ! « École du Partage » sera donc le nouveau nom de cette grande école primaire et secondaire de Vancouver.
Le nouveau nom d’école avait été voté par les associations de parents d’élèves. Avec le soutien des enseignants, l’approbation de la commission scolaire et les encouragements de la municipalité, il avait été décidé que les écoles devaient afficher haut et clair leur raison d’être. Ça se comprend. Quel est le rôle de l’école si ce n’est de produire les citoyens les mieux adaptés au monde de demain ?
À la racine de cette idée, on trouvait les théories de l’économie de la décroissance. Cette branche des sciences économiques était devenue fort populaire à partir des années 2020 et avait donné lieu à d’intenses discussions. À force de séminaires, de conférences et de lectures, un certain nombre de constats étaient ressortis, tels des slogans que l’on pouvait lire en peinture, en graffitis ou dans les tribunes des journaux. « Il ne peut y avoir de croissance infinie sur une planète finie ». Et son complément allant ainsi « Celui qui pense le contraire ne peut être qu’un fou ou un économiste. ». « L’école économique dominante n’avait rien compris à la physique : ce n’était donc pas une science, c’était une croyance ». « Décroissons ! Décroyons ! ».
À l’École du Partage, les parents d’élèves étaient issus pour la plupart de la génération Y. Ils s’accordaient entre eux, que le consumérisme débridé qu’ils avaient eux mêmes parfois expérimenté, en plus d’être insoutenable, n’avait jamais rendu personne heureux. Désormais, tous les parents le savent : pour construire un monde meilleur, pour faire des enfants heureux, libres et adaptés à une planète en souffrance : il faut veiller à leur donner des limites simples, il faut leur apprendre le partage.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger