Après l’obtention de son diplôme en anthropologie, Lucy Bell Sdahl K’awaas, d’origine Haida-Gwaii, a passé un certain temps où elle n’était pas certaine d’avoir fait le bon choix. Le programme n’avait pas répondu à ses attentes.
« Ce qu’on enseignait en anthropologie en ce temps-là me semblait trop abstrait et pas dans le coup. J’ai été triste après la remise des diplômes comme si j’avais gaspillé quatre ans de ma vie », déplore Lucy.
Aujourd’hui, elle est un leader dans le travail de rapatrier les restes ancestraux, les artefacts culturels et les œuvres d’art volés des Haida Guaii dans la dernière moitié des années 1800.
Artefacts dispersés partout au monde
Les dernières décennies de 1800 furent une ère où le peuple Haida fut presque annihilé par les maladies apportées par les colons européens : l’épidémie de petite vérole en 1862 tua à elle seule plus de 70% de la population Haida. « Les possessions et les restes ancestraux furent recueillis dans une période si terrible de notre histoire », déclare Mme Bell.
« Je suis sûre que plusieurs anthropologues croyaient bien faire en ces temps-là, en récupérant supposément l’histoire d’un peuple mort. Mais ils ont pillé des tombes. Ils ont utilisé des identifications erronées. Ils ont échangé et acquis des objets de façon douteuse. »
Malgré les pertes dévastatrices de ce passé, les Haida ont survécu. Mais leurs trésors personnels, leur art, et même les ossements de leurs ancêtres leur ont été volés. Ces objets sont maintenant dispersés dans le monde entier dans les musées, les collections privées et le marché noir, un grand nombre sans trace écrite.
« Nous avons passé trente ans à rapatrier les restes ancestraux et à rappeler aux musées que ce sont là des êtres humains et non des spécimens à exhiber. C’est très lent. »
« Je crois que ce sont les attitudes coloniales et patriarcales qui affectent ce travail, la crainte de faire quelque chose de différent », affirme Lucy. « Je vois certainement une panique chez les musées que s’ils ouvrent les portes, les collections de musées de partout au monde seront vidées. Et bien souvent, la barrière n’est autre que le racisme. »
Les artefacts et les restes sont rendus à la communauté Haida, qui ensuite consulte les descendants et le musée Haida Guaii à Skidegate pour décider des démarches à suivre.
« Il faudra vraiment compter sur l’appui provincial et fédéral pour cela. Les musées et les peuples autochtones de la C.-B. sont très actifs à rapatrier, mais pourraient recevoir un appui financier. Pour la nation Haida, nous calculons que le seul rapatriement de nos ancêtres nous a coûté un million de dollars. »
Alerte au racisme dans le domaine du patrimoine
Mme Bell est actuellement étudiante au doctorat à temps plein à l’université Simon Fraser, où elle fait de la recherche sur la muséologie indigène et la pratique de musée Haida en particulier. Avant cela, elle a passé trois ans comme chef inaugural du RCBM (le Musée royal de la Colombie-Britannique) au programme Premières Nations et Rapatriement, mais a quitté ce poste durant l’été 2020 avec un discours accusant vertement le personnel du musée de conduite raciste.
« Amis et collègues, je veux que vous entendiez et ressentiez ma colère, ma douleur, ma honte et ma frustration. Ne m’envoyez pas de courriels plus tard pour vous expliquer. Ce que je désire que vous fassiez est d’accepter votre privilège de blancs et d’agir en conséquence », lança-t-elle dans son discours qui fut diffusé par les médias nationaux.
Ce discours avait poussé l’Agence de Service Public de la C.-B. à engager un enquêteur indépendant et un consultant en diversité et inclusion.
Son discours enflammé en avait galvanisé bien d’autres dans ce domaine et a conduit Mme Bell et deux de ses collègues à créer le « musée indigène Cousins ». Le réseau de trente personnes s’engage à s’appuyer les uns les autres et à décoloniser le secteur du patrimoine.
Le rapatriement de l’histoire des Haida garantit que les histoires du passé soient intégrées à l’histoire en cours d’une culture autochtone robuste. « Les visiteurs du musée Haida Gwaii entendent la vraie histoire maintenant, voient les véritables Haida – pas seulement le passé mais aussi les œuvres d’art contemporain », souligne-t-elle. « J’espère bien que les gens sont excités par cela. »
Cet article a été traduit en français par Louise T. Dawson du journal La Source à partir d’un blogue sur le site de l’Université de Victoria. Veuillez trouver la version originale à www.uvic.ca/alumni/read-and-explore/news-and-stories/feature-stories/bringing-haida-home.php