La troisième édition du Vancouver International Black Film Festival s’est tenue du 1er au 4 décembre 2023. L’événement présentait une quarantaine de films en provenance de cinq pays, tous en accès libre grâce à la version hybride en ligne du festival. L’un des faits saillants de ce festival a été la présence de vingt-sept réalisateurs en devenir invités à présenter leurs courts-métrages. Ces mini films présentent les histoires singulières d’afro-descendants qui témoignent de la condition d’être noir au Canada ».
Suzanne Leenhardt
IJL – Réseau.Presse – Journal la Source
Chaîne argentée autour du cou, chandails gris et cheveux rasés, Manny Obiajunwa répond aux questions du public, les bras croisés et le micro dans une main. “Je me sens anxieux”, répond-t-il en souriant devant la salle remplie d’une cinquantaine de personnes. Son premier court métrage vient d’être projeté ce samedi 2 décembre, au Vancity Theatre pour le Vancouver International Black Film Festival. Parmi cette sélection, le jeune homme faisait partie du programme “ Being Black in Canada ” : pendant un an, 27 jeunes entre 18 et 30 ans ont été entourés de professionnels de l’industrie cinématographique pour réaliser leur propre film. “On cherche des jeunes qui n’ont pas de contacts ni d’expérience dans le cinéma. Ce programme leur donne une carte de visite qui leur permet de frapper aux portes, d’enchaîner les festivals et même de recevoir des prix”, témoigne fièrement la créatrice Fabienne Colas. Le festival a eu lieu dans six villes canadiennes : Montréal, Ottawa, Halifax, Toronto, Calgary, pour se finir à Vancouver.
Dans “Tryna Hustle”, Manny Obiajunwa nous plonge dans le quotidien de Lowkita, une jeune mère et artiste interprète qui doit cumuler trois contrats pour pouvoir vivre décemment à Vancouver. Comme une invitation à suivre ses rêves teintés d’avertissement. Tous les jeunes réalisateurs ont capturé des moments de vie de personnes à la couleur de peau noire, minorité visible au Canada. Il y a l’histoire de Macumi Hellen, une agricultrice originaire du Burundi, qui doit trouver une solution pour faire pousser ses légumes pendant l’hiver canadien. Cette activité qu’elle souhaite voir perdurer en la transmettant à ses enfants représente son attachement à son pays de naissance. Dans un autre film, Ayub et Mohammed arrivent au Canada avec le statut de réfugiés somaliens et rêvent de devenir joueurs de football professionnels. Ils s’entraînent d’arrache-pied tous les matins et l’un d’eux va jusqu’à intégrer une école de sport. Il a fait le déplacement ce samedi soir au Vancity Theatre. Deux autres réalisateurs ont décidé de capturer leurs propres expériences : celle de dormir pendant près d’un an dans les rues de la ville faute d’avoir un toit, ou de renouer avec un père absent de son enfance.
Un accès à l’emploi limité
Derrière ces histoires personnelles résonnent les questions plus larges de l’immigration et de ce qu’elle sous-tend : l’exil, la discrimination ou encore la transmission familiale. Et Fabienne Colas y tient. « La télévision doit refléter la réalité démographique. Il y a autant de réalités noires qu’il y a d’individus, de cultures et de langues. Un Jamaïcain n’a pas la même réalité qu’un Nigérian. » La comédienne et créatrice du festival, originaire d’Haïti, s’est elle-même heurtée aux portes fermées de l’industrie cinématographique quand elle est arrivée au Canada il y a vingt ans. Le projet de mentorat que sa fondation propose est parti du constat d’un « manque de personnes noires devant et derrière la caméra ».
Au pays, le multiculturalisme est pourtant inscrit dans une loi, adoptée en 1988 sous le gouvernement de Pierre ElliottTrudeau. Malgré des réformes, les politiques publiques ne semblent pas suffisantes.Statistique Canada estime que 55 % des personnes noires ont déclaré avoir subi de la discrimination au travail ou au moment de présenter une demande d’emploi ou d’avancement, dans les cinq années précédant la pandémie de la COVID-19. Fabienne Colas témoigne d’une amélioration de la prise en compte de la diversité dans les arts mais veut aller plus loin et estime que la mise en place de quotas à l’embauche pourrait être efficace. En attendant, son objectif est d’assurer la pérennité de ses festivals. Et par ricochet, des carrières de jeunes artistes émergents.