Ceci est la seconde partie d’une entrevue fictive. Quelque part en 2030, le professeur Doque revient dans l’émission « L’avenir se dessine » animée par Maria Polinova.
Professeur Doque, lors de notre dernière entrevue, vous aviez esquissé à grands traits une ville démocratique, écologique et abordable. Nous avons reçu de nombreux commentaires du public au sujet de la propriété du logement. Pourquoi le sujet de la propriété est-il si important ?
Merci Maria. Il y a un vrai problème avec la propriété telle que nous la connaissons. Devenir propriétaire est le rêve de tous, mais c’est le privilège de très peu. Nous croyons que le rêve commun de chacun est de vivre libre. Libres comme l’air pour certains, libres de vivre tranquillement pour d’autres, mais aussi libres de créer, d’oser, de changer de travail et donc de changer de vie pour beaucoup. Et lorsque l’on est propriétaire de son toit, on se met à l’abri du risque de se retrouver à la rue. Or, se retrouver à la rue, c’est perdre la liberté.
Je comprends cette idée, mais alors quel est le lien entre l’écologie et la propriété ?
La propriété privée, absolue, illimitée dans le temps et dans ses accumulations a conduit à deux grands malheurs. D’une part la crise écologique dans laquelle nous sommes empêtrés, et d’autre part la crise sociale. À l’Université Libre, nous travaillons sur l’utilité sociale de la propriété. Quelques familles ont accumulé des biens et des richesses dans des quantités supérieures aux empereurs d’antan. Cela n’a aucun sens au plan économique. Comme vous le savez la théorie du ruissellement était une fable. Sur le plan écologique, plus on possède, plus on détruit, c’est logique. Mais il ne faut pas oublier le bilan social : plus les riches sont puissants, plus les pauvres sont dominés, malheureusement. Or, les sciences sociales ont montré qu’il existe des points de rupture. Les inégalités extrêmes conduisent toujours à des violences déplorables, coûteuses et dont les communautés ne se remettent que très difficilement. N’espérez aucune transition écologique dans une société violente.
Mais oui, comme on dit « l’écologie sans le social, c’est du jardinage » … Professeur Doque, expliquez-nous : limiter la propriété, n’est-ce pas justement une atteinte à la liberté ?
Lorsque j’enseigne, très souvent je surprends mes étudiants en leur rappelant que les sociétés dites libres ont systématiquement été basées sur des interdits fondateurs. Pour que nous soyons tous libres d’aller, il a fallu interdire les homicides, les agressions, de rouler en voiture la nuit phares éteints ou complètement ivres. Les interdits ou les obligations imposées par le droit sont indispensables à la sécurité, à la santé et donc à l’exercice de la liberté. Maintenant, limiter la propriété, ce n’est pas l’interdire. En revanche, ne pas limiter la propriété du logement à Vancouver par exemple, ça revient à exclure toutes celles et ceux qui ne sont pas multimillionnaires.
D’accord, ça s’entend, nous connaissons tous le marché de l’immobilier et le contexte économique ici. Alors comment limiter la liberté ?
La propriété vous voulez dire.
Mon dieu ! Oui bien sûr, comment limiter la propriété ?
Ces concepts sont difficiles à comprendre, c’est pour ça que notre université est ouverte à tous et à toutes. Je vous avais expliqué l’autre jour que la propriété devait suivre l’usage. Donc on interdit, par principe l’acquisition de biens à des pures fins d’investissement. C’est du bon sens ! Mais on doit aussi limiter la propriété dans le temps. Aujourd’hui, lorsque vous décédez, le titre de propriété vous survit n’est-ce pas ? Il est généralement transmis à vos enfants. Dans notre utopie réaliste, la propriété expire à votre mort. Ce qui présente la conséquence suivante : le prix à payer pour un appartement que vous allez habiter est proportionnel à votre espérance de vie restante. En conséquence, l’immobilier est beaucoup moins cher. C’est un modèle inspiré du viager. Après tout, quand on part, on laisse tout.
Admettons ! Si l’immobilier n’est plus un investissement juteux, les investisseurs vont se rabattre sur les valeurs mobilières. Proposez-vous aussi de limiter la propriété des entreprises alors qu’on a justement besoin de tant d’entrepreneurs pour créer cet avenir écologique et soutenable.
Bien sûr ! Pour dessiner un avenir égalitaire, on abolit aussi la propriété illimitée des entreprises. Vingt ans nous semblent être la durée raisonnable pour qu’un entrepreneur demeure le propriétaire majoritaire de sa boutique. Les travailleurs sont obligés d’acquérir petit à petit des parts dans l’entreprise, jusqu’à ce qu’ils deviennent collectivement majoritaires. Notre prisme de lecture premier est celui de l’abolition de toutes les formes de domination. Donc on oblige les travailleurs à devenir actionnaires par retenues sur salaire. Comme ça, ils besognent avec intérêt, dans des projets auxquels ils croient sincèrement. Et ils votent ! Quant aux entrepreneurs talentueux, ils ne sont pas lésés grâce à la clause des vingt ans pendant laquelle leurs parts peuvent prendre de la valeur, mais ils sont incités à créer de nouvelles et belles entreprises utiles à la communauté.
Professeur Doque, un grand merci pour votre passage dans « L’avenir se dessine ». Petit à petit, je crois que nous entrevoyons le chemin qu’il reste à parcourir pour tout reconstruire durablement.
Ce texte est inspiré du roman Voyage en misarchie par Emmanuel Dockès
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.