La Polygon Gallery présente l’exposition « From Slander’s Brand »

L’histoire est le point de vue de son auteur et le produit d’une aire culturelle spécifique. » Avec ces mots, Hannah Darabi explique le projet de From Slander’s Brand (De la marque de la calomnie), une nouvelle exposition de la Polygon Gallery. Présentée jusqu’au 4 février 2024, From Slander’s Brand regroupe le travail de Hannah Darabi, de Rachel Khedoori et de Ron Terada pour offrir une réflexion sur l’œuvre d’art en tant que témoin, interlocuteur et réflecteur critique de l’histoire. Le travail de ces artistes d’horizons différents permet d’interroger le rapport à l’information, à la censure, et comment les différents types de publications peuvent affecter le quotidien et servir d’archives historiques.

Histoires

Le titre de l’exposition fait référence à une épitaphe dédiée à Hérodote, auteur de Histoires, un ouvrage considéré comme le premier récit d’histoire occidentale à avoir été écrit et publié. Mais le travail d’historien d’Hérodote a été critiqué par ses contemporains. La présence de contes et autres récits de fiction dans l’ouvrage, mêlant ainsi récits folkloriques et faits historiques a été vue d’un mauvais œil. La présentation de la Polygon Gallery ajoute même : « Les critiques de l’époque l’ont également qualifié de “père du mensonge”. Comme le suggère cette épitaphe, il a été contraint à l’exil à cause des critiques dont il a fait l’objet ». Et c’est sous ce prisme, explorant le lien entre objectif et transformé, entre collectif et personnel, que le travail des artistes est présenté.

Actualité

S’intéressant au lien de la société avec l’actualité, et comment ces articles affectent le quotidien, Ron Terada a créé TL;DR, un assemblage de peintures – 325 présentées actuellement à la Polygon Gallery – créant une large frise revêtant les murs de la galerie. Chaque peinture est une reproduction de Unes datant de 2020 et issues du site d’information américain The Verge, centré sur la technologie… Le titre de l’œuvre lui-même renvoie à l’abréviation de Too Long;Didn’t Read [Trop long; pas lu] utilisée sur internet. « En transposant les titres sur un support plus ancien, la peinture, j’essaie de ralentir le temps ou, dans ce cas, “l’expérience de l’utilisateur”, explique Ron Terada. Le public doit alors se déplacer physiquement dans l’installation TL; DR sans pouvoir faire défiler l’information : il s’agit de redonner un aspect contemplatif à l’acte de regarder », poursuit l’artiste vancouvérois.

TL;DR par Ron Terada. | Photo par Toni Hafkenscheid

Mémoire

L’abondance d’informations et d’actualités en ligne peut donner l’impression de se sentir noyé dans les données, et perdu face à la multitude de titres et phrases d’accroche tapageurs. « Je pense que [les] titres [de The Verge] sont extrêmement réfléchis […] pour vous inciter à cliquer. Cela ne doit pas être interprété comme un point négatif, car c’est ainsi que fonctionne le contenu en ligne. », explique Ron Terada. Mais cette source continue d’information peut affecter l’attention et la capacité de concentration du lectorat. L’artiste invite alors le public à ralentir, à prendre le temps d’observer et lire, à regarder ces titres d’actualité avec la même attention et le même sens critique que pour une peinture. « Ce travail porte sur la mémoire ou la diminution de la mémoire. Nous nous sommes habitués à nos appareils comme principal moyen de conserver la mémoire. » Jusqu’à en devenir trop dépendants, ajoute l’artiste.

Histoires alternatives

Cette dépendance aux phrases d’accroche et aux présentations tape-à-l’oeil affecte la mémoire de chacun mais aussi la perception de l’actualité. Le titre scandaleux qui faisait la Une des journaux n’affecte pas le lecteur de la même façon que la photo du même événement, ou toutes les publications qui ont entouré l’événement et lui ont donné une profondeur. La multiplication des points de vue et des supports de l’information servant aussi de témoins historiques est centrale à l’exposition From Slander’s Brand et imprègne le travail de Hannah Darabi. Dans son œuvre Enghelab Street A Revolution Through Books: Iran 1979–1983, l’artiste, née en Iran et basée à Paris, a regroupé différentes publications pour multiplier les perspectives. Ces livres contiennent textes, photos, écrits politiques et ont été publiés entre 1979 et 1983, « des années correspondant à la courte période de la liberté d’expression à la fin du régime du Shah et au début du gouvernement islamique. »

Ces publications sortent de la rue Enghelab, au centre de Téhéran. Plus qu’un simple lieu de passage, il s’agit d’une « artère principale de la vie culturelle de la ville, qui compte de nombreuses librairies et maisons d’éditions », rappelle Hannah Darabi. Et c’est dans cette rue qu’ont fleuri les publications, les images, les récits racontant un moment historique vu et vécu dans l’instant présent. « J’aimerais bien attirer l’attention à la fois sur la complexité de l’histoire politique d’un pays, mais également sur l’importance des micro-histoires alternatives », conclut l’artiste.

Et c’est en mêlant différentes perspectives, différents témoins aux faits historiques, que From Slander’s Brand permet au public d’apprécier la complexité « d’écrire l’histoire ».

Pour plus d’informations sur l’exposition, visiter : www.thepolygon.ca/exhibition/from-slanders-brand