El Niño

S’il y a un phénomène climatique qui gagnerait à être connu, c’est bien El Niño. Cela tombe bien, puisque nous venons de vivre un épisode El Niño de tous les records. Derrière ce nom d’enfant de chœur pourrait se cacher une terrible prophétie.

Il se manifeste périodiquement, tous les deux à sept ans, dans l’océan Pacifique Sud. Les températures de surface augmentent en même temps le régime des vents. Les alizés changent de direction et, en caressant la surface des eaux, El Niño déclenche un gigantesque transfert d’énergie de l’océan vers l’atmosphère.

Ce relargage thermique est énorme ! Lorsque les scientifiques ont calculé le potentiel énergétique du phénomène, ils ont découvert que l’enfant terrible crachait en quelques mois l’équivalent de chaleur de millions de bombes atomiques.

Ceux qui ont appris la physique du climat à l’école doivent s’en souvenir. Les océans rendent de nombreux services écologiques à notre humanité hésitante. Pendant que nous tergiversons toujours sur la responsabilité des uns ou des autres à agir pour le climat, nos systèmes industriels et économiques relarguent inlassablement des milliards de tonnes de gaz à effet de serre. Le surplus de chaleur piégé dans la troposphère est absorbé en grande partie par les océans, au taux de 93%. Mais ce service rendu n’est ni définitif, ni gratuit.

Ce phénomène naturel et ancien n’a pas besoin du changement climatique d’origine humaine pour faire des dégâts. Les historiens ont retrouvé sa trace dans l’effondrement des civilisations égyptienne et maya. Lorsque El Niño se manifeste, il empêche l’eau froide de remonter des profondeurs, ce qui prive le plancton des nutriments nécessaires à sa survie et à son développement. En plus de malmener le premier maillon de la chaîne alimentaire par des eaux trop chaudes, on sait aussi qu’à mesure que l’océan absorbe du dioxyde de carbone, il s’acidifie. Le plancton peine à se nourrir et il peine à se construire puisque ses structures faites de calcium n’aiment pas l’acidité. Dans les années El Niño, des ouragans se forment, des sécheresses s’installent, des torrents de pluie se déversent, des feux de forêts survivent à l’hiver. El Niño exacerbe toutes ces calamités, puis il marque le pas. Nous venons de franchir en 2023 le seuil des accords de Paris fixé à 1,5 degré de réchauffement planétaire. Et nous ne reviendrons pas en arrière.

Depuis mars 2023, tous les records de chaleur planétaires ont été battus – mois après mois. El Niño est reconnu comme étant le principal modulateur de la température de surface mondiale d’une année sur l’autre. Les études estiment qu’il est responsable de deux dixièmes de degrés de réchauffement sur une année.

Les écosystèmes marins comme terrestres sont violemment secoués par la « bombe » El Niño.

Un chercheur a déclaré au sujet du phénomène El Niño que cette « bombe » combinée au réchauffement climatique anthropique nous plonge « en territoire inconnu ». Les écosystèmes marins comme terrestres sont violemment secoués et il ne saurait guère tarder avant que les économies mondiales et interconnectées prennent l’eau.

Poissons, chocolat, concrètement : il faut s’attendre à ce que les prix s’envolent et que le grain vienne à manquer. Laurent Testot revient dans El Niño, histoire et géopolitique d’une bombe climatique sur trois épisodes majeurs qui, à la fin du XIXe siècle, ont provoqué des famines, notamment en Inde et en Chine. On estime que ces famines ont causé la mort de trente à soixante millions de personnes. Il s’agit là de pertes comparables, en ordre de taille, au bilan des guerres mondiales.

D’aucuns prétendent qu’El Niño soit un tueur isolé. C’est la mauvaise combinaison d’un phénomène océanique prévisible avec des politiques de lutte contre les changements climatiques qui ne portent aucun résultat ; des stratégies de protection des océans qui à date n’améliorent rien ; des modèles économiques obsolètes mélangés à une culture de l’instant présent, de la compétition, de l’irresponsabilité généralisée… là où il aurait fallu de la coopération, de l’anticipation, de la solidarité. Ce cocktail nous précipite au-devant de grands dangers.

El Niño est suffisamment connu et documenté pour que les historiens, dont celui précité, lui attribuent une probable responsabilité dans 21% des nouveaux conflits civils. Lorsque les moissons seront mauvaises, les peuples viendront à manquer de tout. Puis, la révolte viendra. En attendant, les plus sensibles et les mieux informés peuvent choisir de faire des réserves, de cultiver leur jardin ou de tenter par tous les moyens de faire naître un débat. En cet instant, l’avenir n’est pas prescrit. Il s’écrit.

https://climatereanalyzer.org/clim/t2_daily/?dm_id=world

Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.