À Vancouver, le musée de la police ressuscite la mémoire de John Vance, un chimiste au service de l’enquête

L’entrée du bâtiment du musée de la police érigé en 1932, ancien laboratoire de la ville. | Photo par Suzanne Leenhardt

En amont de la semaine des musées du 14 au 19 mai, La Source a poussé les portes de celui de la police de Vancouver. Depuis le mois de novembre, il consacre une exposition au scientifique John Vance, dont les travaux ont permis d’élucider de nombreux crimes du XXe siècle à Vancouver.

Sur la bibliothèque, de vieux livres de toxicologie côtoient ceux de droit pénal dont les couvertures se désagrègent. Au rez-de-chaussée du 238 rue Cordova à Vancouver, l’ancien laboratoire de la Ville est resté dans son jus : les tables en marbre et la chambre noire qui servait à développer les photographies n’ont pas bougé. C’est ici qu’ont œuvré John Vance et son équipe de scientifiques pour tenter de résoudre les crimes de l’époque dans les années 1930. À l’étage, les services du coroner, la morgue et la salle d’autopsie se tenaient dans l’actuel musée de la police de Vancouver.

Depuis le mois de novembre, le musée indépendant consacre une rétrospective à ce chimiste né en Écosse dont les recherches en balistique et en sérologie ont grandement fait évoluer les enquêtes policières de la ville. Un métier de l’ombre au service de l’intérêt général qui lui vaudra le surnom de « Sherlock Holmes » local.

De chimiste chevronné à inspecteur honoraire

Il faut revenir presque un siècle en arrière et se plonger dans le Vancouver des années 1930. Les taux de criminalité et de pauvreté sont élevés et la Grande Dépression économique affecte la vie quotidienne des Vancouvérois. Le jeune chimiste John Vance travaille pour la Ville : il surveille la qualité des eaux et de la nourriture. Les inspecteurs policiers n’ont aucune compétence scientifique et se tournent alors vers lui pour se former. En 1932, la Ville décide de concrétiser cette collaboration et crée un bureau des Sciences où les services du coroner et laboratoire de la ville travaillent côte à côte. On construit le bâtiment en brique, John Vance prend la tête de l’équipe et est nommé inspecteur honoraire. Il y travaillera jusqu’à sa retraite en 1949. « En organisant cette exposition dans son propre bâtiment, on boucle la boucle ! », s’émerveille Christie Strauss, la directrice du musée.

Depuis novembre, le musée a rassemblé tous les artefacts dont se servait le chimiste. Un microscope pour la comparaison des balles de pistolet, un hydromètre pour mesurer la densité du lait, des éprouvettes graduées ou encore un réfractomètre.

L’un des premiers cas sur lequel travaille John Vance est un meurtre perpétré à Dawson, dans le Yukon. Un mineur retraité est retrouvé battu à mort dans sa cabine. Le scientifique doit alors déterminer si le sang retrouvé sur le manteau du suspect est d’origine animale ou humaine. Et l’analyse ADN n’existe pas encore. Il introduit des antigènes humains dans l’échantillon de sang et découvre qu’ils se lient avec les anticorps : c’est donc bien du sang d’origine humaine et le suspect plaide coupable.

Bombes et menaces

En permettant de résoudre des enquêtes policières et en s’immisçant dans les règlements de compte liés au trafic de contrebande, le Vancouver Sun écrit en 1934 qu’il est le : « meilleur moyen de dissuasion contre la criminalité que la ville ait jamais connu ». Une reconnaissance qui ne fait pas l’unanimité. Au cours de sa vie, John Vance échappe à sept tentatives de meurtre et à plusieurs reprises des bombes sont désamorcées près de sa maison ou de son laboratoire.

Au centre de la salle d’exposition, son journal personnel a été reconstitué avec des extraits de textes mentionnant ces épisodes. « L’autrice Eve Lazarus, spécialisée dans l’histoire des crimes à Vancouver, a contacté la famille de John Vance et a écrit un livre sur lui. Elle a donné au musée tous les documents et ils sont fascinants ! On vient juste de finir de les digitaliser pour les montrer au public. Sauf certains qui appartiennent à la police et sont classés confidentiels », sourit la directrice.

Vaines recherches

Plus loin, un panneau explicatif revient sur les recherches du chimiste chevronné. Parfois vaines. « Avez-vous entendu parler du limier mécanique ? », questionne Christie Strauss. « C’est très niche ! » Cette thèse, imaginée par Vance, part du postulat que chaque individu produit une odeur distincte qui peut être analysée à l’aide d’un microscope. Si cette idée a été réfutée depuis, à l’époque, le chimiste reçoit des lettres des universités de Londres et de Shanghaï qui veulent en savoir davantage. « Aujourd’hui, on sait que notre odeur dépend de ce qu’on mange et de bien d’autres facteurs », pose la directrice.

Après le départ à la retraite de John Vance, le laboratoire continue d’exercer jusqu’en 1996, quand il sera décentralisé à Surrey en raison de la taille des nouveaux outils d’analyses. Cette évolution rapide des techniques d’analyse et de la science permet parfois de rouvrir des « cold cases », enquêtes non résolues. Ainsi l’exposition John Vance résonne avec une partie du musée consacrée aux meurtres historiques de Vancouver. Notamment celui des « bébés dans les bois », dont les ossements ont été retrouvés à Stanley Park en 1953. Grâce à l’analyse génétique, leurs identités ont été révélées et le dossier a été rouvert en février 2022, soit 69 ans après. Comme l’enquête, le temps de la culture prend son temps : l’exposition John Vance restera en place pour les deux prochaines années.

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