À la racine des crises : la monnaie !

Pourquoi y a-t-il une crise de la biodiversité  ? Pourquoi sacrifions-nous le climat  ? Pourquoi semble-t-il de plus en plus difficile de vivre sur cette planète et de donner du sens à nos existences ? Dans un ouvrage flamboyant intitulé Sacred Economics, Charles Eisenstein livre son explication.

Parfois, nous faisons mine de ne pas voir l’éléphant dans la pièce ! Celui qui est universel et omniprésent, qui ne connaît aucune limite, qui est invisible et immatériel. Ce pouvoir mystique dirige toutes les affaires, il commande les comportements, il influence la psychologie humaine. Il est une puissance surnaturelle capable de déplacer des montagnes, de raser les forêts. Il est à l’origine de toute chose et toutes les choses lui reviennent. Oui, il s’agit bien de l’argent ! L’argent a quelque chose de magique. Pièces métalliques, billets ou chèques en papier autrefois, aujourd’hui l’argent n’est rien d’autre qu’une écriture électronique qui n’a aucune valeur intrinsèque. Dans la nature, l’argent est parfaitement inutile. Mais, nous autres humains comprenons très bien sa magie. L’argent est un accord de confiance entre les personnes, une convention qui peut servir à stocker des droits pour plus tard ou à échanger des choses tout de suite. C’est au moyen de l’argent que chaque jour on répond à nos besoins immédiats ou lointains. L’argent est un récit, une histoire imbriquée à notre conception de nous-mêmes par rapport aux autres et à notre relation au monde naturel.

Charles Eisenstein, auteur du livre Sacred Economics.

Pour mieux parler d’argent, Eisenstein s’attarde sur le « moi » humain qui se pense depuis longtemps distinct du reste de la nature. « Nous ne sommes pas des animaux, nous sommes les maîtres de la nature. Si nos corps sont mortels, notre âme est éternelle. Nous sommes spéciaux et il est bien normal que les ressources placées ici, en face de notre génie créatif, servent notre destin fabuleux ». Ceci est encore une histoire que l’on se raconte.

Le récit de la séparation n’a pourtant pas toujours été. Il fut des temps où l’humain comprenait son appartenance fondamentale au monde naturel dans lequel le « moi » s’incline au bénéfice du « nous » et de son écosystème. Les biens communs tels que le ciel, la terre, la rivière sont des dons indispensables à la survie. S’ils ont été placés là par le créateur, ils sont insusceptibles d’appropriation. Il existe des langues anciennes dans lesquelles le vocabulaire servant à décrire les relations d’échanges entre humains existait déjà, mais il ne distinguait pas selon qu’on vend ou qu’on achète, selon qu’on emprunte ou qu’on prête, puisque le récit de la propriété privée n’existait pas.

En pareille société, le mode normal de l’échange était l’offrande. Chacun offre ses plus beaux talents car telle est sa raison d’être et son honneur. Le boulanger offre son pain, l’enseignant son savoir, le sculpteur ses statues. Celui qui reçoit éprouve de la gratitude envers celui qui donne, et une relation humaine est ainsi née. Avec l’argent comme outil standard d’échange, nul besoin d’offrande ni de gratitude. Je peux me payer seul et tout de suite le pain, le balado ou la décoration d’intérieur qui me fait plaisir sans avoir à bâtir la moindre relation ni dire merci.

En désacralisant le don, l’argent affaiblit les relations. En instaurant la compétition entre les talents, l’argent monétise toutes les choses et anéantit à la fois les biens communs et les communautés. Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’argent, et donc de possibilité d’enrichir nos vies, jamais, nous n’avons ressenti autant de solitude et d’anxiété. Chacun court après l’argent. Pauvres gens, riches gens, le désir d’argent ne connaît pas la satiété, et il n’y aura jamais assez d’argent pour une bonne raison  : le taux d’intérêt. La monnaie-convention est créée ex nihilo par les banques, non sous forme de prêt (ni de don), mais bien sous forme de dette à laquelle s’ajoutent les intérêts. Pour repayer cette dette et le service de la dette, il faut produire toujours plus. Il faut toujours plus de croissance. C’est ainsi que l’économie en arrive à tout dévorer  : le patrimoine naturel doit être privatisé et vendu, le capital culturel mis sous licence et le patrimoine social mis en boîte et livré à domicile. Nos existences s’appauvrissent à mesure que l’argent colonise nos héritages.

Pour un monde soutenable, il faudra rapidement s’intéresser de près aux mécanismes de la propriété privée, de l’argent et de l’intérêt.

Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.

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