Le secteur de la restauration, c’est bien connu, est une des aventures commerciales des plus périlleuses qu’il soit, où les risques de faillite sont particulièrement élevés. Dans un environnement où la compétition est aussi féroce qu’à Vancouver, il tient presque du miracle d’y survivre, que dire, d’y réussir !
Il ne suffit pas d’avoir un nom célèbre. On pourrait parfois penser qu’une réputation stellaire peut être un boulet à la cheville, puisque les attentes sont très élevées, pour ne pas dire à la hauteur des prix pratiqués. Ceux d’entre vous qui avez suivi quelques unes des aventures culinaires célèbres de Vancouver se souviendront des échecs de Rob Feenie ou de Daniel Boulud, deux chefs réputés, mais dont la réputation seule n’a pas suffi. Pourtant les deux avaient des appuis financiers importants, ce qui n’a pas non plus suffi à leur maintenir la tête hors de l’eau.
Il y a bien sûr plusieurs histoires à succès qui reflètent l’évolution des goûts et des cultures d’une région aussi culturellement variée que la nôtre. Vancouver est passée du désert gastronomique des années 70 au bouillon de culture qu’on lui connaît aujourd’hui. Il n’y a pas un type de cuisine qu’on ne trouve pas à Vancouver, avec en prime des métissages et des fusions qui ne font qu’enrichir le paysage culinaire. Ce qui profite à la clientèle mais qui rend aussi la compétition plus dure.
C’est dans cet environnement que deux petits restaurants qui tirent leur épingle du jeu depuis des années sont des exemples de stabilité, de la fidélité de leur clientèle à la qualité constante qu’ils proposent à leurs tables. Il s’agit de Miko Sushi, sur la rue Robson, entre Jervis et Broughton, et de Salade de Fruits sur la 7ème avenue, dans l’enceinte de la Maison de la Francophonie.
Il y a plusieurs points de comparaison entre ces deux établissements. Le chef propriétaire, Takashi Shimojima, sert ses clients depuis qu’il a repris le restaurant en 1994 et qu’il le gère avec sa famille. Salade de Fruits sert ses clients depuis 1999, quand Antoine Bonard et son partenaire d’alors, Pascal Poutot, ont transformé, pour la énième fois, cet espace de la Maison de la Francophonie qui y vivotait depuis des années. Depuis 2004, c’est le Sri lankais Balendran Raveshan qui partage la cuisine avec Pascal.
Mais c’est la constance qui est sans doute la plus grande qualité de ces deux maisons, la constance que l’on retrouve dans la qualité, les prix, le service, l’ambiance et l’atmosphère qui ensemble forment la base de leur succès soutenu. C’est cette constance qui inspire confiance à leurs habitués, qui savent toujours à quoi s’attendre. Ils s’y sentent accueillis et chez eux. Il s’en dégage un sentiment de bien-être et de confort rassurant. Les clients connaissent les menus et aiment qu’il n’y ait pas de surprise. Même quand certains plats changent, ils ont l’impression que tout reste pareil, parce que l’esprit reste le même. C’est la constance dans la continuité.
Les clients se reconnaissent entre eux et sont connus du personnel, qui lui aussi est d’une stabilité étonnante dans une industrie reconnue pour les mouvements fréquents de personnel. Nombre d’entre eux y sont depuis plus de 10 ans, certains y sont depuis le début, chez l’un comme chez l’autre. Il n’est pas rare d’être reconnu au téléphone quand on y fait une réservation, d’ailleurs hautement recommandée. Les deux endroits ne dérougissent pas.
Mais ce qui est encore plus fascinant, c’est que ce sont deux entreprises lancées par des immigrants qui sont venus s’installer ici et ont choisi de prendre le risque de se lancer en restauration, dans un climat de compétition féroce, et qui ont réussi. Dans un cas c’est la tradition des bistrots français, qui attire de plus en plus de clients d’origine asiatique, alors que dans l’autre, c’est la tradition des sushi japonais, qui attire autant de clients asiatiques que d’occidentaux. Un modèle de diversité culturelle, à l’image de la clientèle !
D’autres exemples de réussite : le confiseur et pâtissier allemand Thomas Haas, l’Italien Umberto Menghi, le boulanger et pâtissier belge Olivier Lebeau, le charcutier hollandais John Van der Lieck (Oyama), le chef japonais Tojo, le Français Alain Rayer de la Régalade, l’Indien de formation autrichienne Vikram Vij, la fromagère d’origine suisse Debra Amrein-Boyes… pour ne nommer que ceux-là, tous venus d’ailleurs pour enrichir notre culture gastronomique et notre qualité de vie.
Est-ce que c’est l’heure d’aller manger maintenant ?