Il ne faut pas se fier aux apparences : la vraie couleur de la vanille est… noire

« Albius : ça veut dire blanc en latin. Blanc comme la vanille, blanc comme un blanc, toi qui es tellement intelligent que tu mériterais d’être Blanc. »

« Albius : ça veut dire blanc en latin. Blanc comme la vanille, blanc comme un blanc, toi qui es tellement intelligent que tu mériterais d’être Blanc. »

Qui, de nos jours, s’imaginerait que la vanille, si prisée en cuisine et parfumerie, incarne, jusque dans ses couleurs, la folie esclavagiste? La vraie couleur de la vanille, de Sophie Chérer, nous plonge dans le sombre passé colonial de la Réunion à travers l’histoire d’Edmond Albius, un jeune esclave qui a découvert le secret de la fertilisation de la vanille à la barbe des experts de l’époque. Un roman édifiant à découvrir absolument en ce mois de célébration de l’Histoire des Noirs.

1841, Ile Bourbon, sept ans avant l’abolition de l’esclavage. Edmond, jeune esclave orphelin de naissance, est recueilli par Ferréol Bellier Beaumont, un planteur blanc passionné de botanique, qui décide de l’adopter et de lui transmettre tout son savoir sur la nature. Curieux et manifestant une vivacité d’esprit et une mémoire extraordinaires, le jeune Edmond fait la fierté de son maître, qui le traite comme son égal, presque son fils, bravant l’opinion publique de l’époque. Mais tout s’écroule lorsque Edmond, à 12 ans, le surpasse en découvrant le principe de la pollinisation de la vanille : aussi ouvert d’esprit soit-il, Ferréol ne peut concevoir qu’une telle découverte soit attribuée à un enfant, noir de surcroît, là où tant de botanistes chevronnés ont échoué auparavant. Rejeté et trahi, Edmond doit fuir. « Trop noir pour les Blancs, mais trop blanchi pour les Noirs », il finira ses jours dans la misère et la solitude, spolié du mérite de sa découverte, qui marquera le début d’une période de prospérité pour l’île.

Sophie Chérer signe ici un récit puissant et haletant, entre le roman et la biographie, qui nous fait découvrir le vrai père de la vanille et le réhabilite pour sa découverte. Elle nous en livre un portrait émouvant, quoiqu’un peu énigmatique, posant la question de savoir si sa découverte est due à son génie ou à un pur hasard.

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Mais outre cela, La vraie couleur de la vanille est une peinture d’une époque. Par son récit à la troisième personne riche en descriptions très travaillées, l’auteur nous fait revivre les sombres heures de la colonisation en apportant un éclairage tout à fait intéressant, à la valeur documentaire indéniable, sur la mentalité des planteurs blancs de l’époque et l’injustice des rapports entre Blancs et Noirs : le fait que Ferréol, malgré ses idées libérales, n’ait jamais enseigné à lire et à écrire à Edmond, lui interdisant donc d’exister par lui-même dans un monde scientifique dominé par les Blancs, en est un exemple saisissant. La spécificité du roman réside cependant dans la fenêtre ouverte sur la botanique et son histoire. L’auteur puise abondamment dans la terminologie de cette discipline pour nous en révéler quelques ficelles, mais elle joue avec de façon telle que ces termes botaniques apportent une couleur poétique au récit, plongeant le lecteur à la découverte de la nature et de l’éveil des sens.

Finalement ce qui frappe, c’est l’allégorie de la vanille qui, avec sa fleur blanche et son fruit noir, incarne à elle seule l’opposition entre les colons et les esclaves. L’analogie devient vraiment troublante lorsqu’on considère qu’Edmond, né noir, a reçu à son affranchissement le patronyme d’Albius, blanc en latin, « blanc comme la vanille, blanc comme un blanc, [lui] qui [était] tellement intelligent qu’[il aurait mérité] d’être blanc. » Comble du cynisme ou réelle reconnaissance ? Il n’en reste pas moins que le destin tragique de cet homme s’est trouvé soudé à sa découverte pour ne plus faire qu’un.

En bref, un roman bouleversant et poétique qui invite à la réflexion sur la nature humaine et ne vous fera plus voir la vanille de la même façon.