Des racines culturelles retrouvées

Poster par Carissa Gobbi http://carissagobbi21.blogspot.ca/2014/04/guelph-multicultural-festival-poster.html

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Je suis une immigrante. Je suis une immigrante taïwanaise. Ces affirmations sont sans fautes, de grammaire correcte et sans sentimentalité. Dans un quartier aux cultures si diverses que l’est de Vancouver, ces déclarations ne sont pas hors de l’ordinaire. Néanmoins il ne m’a pas toujours été aisé de pouvoir affirmer cette partie de mon héritage, de mon histoire et de mon identité.

Avec hésitation et un soupçon d’honnêteté brutale, je peux ajouter une autre déclaration aux précédentes. Je suis l’enfant modèle de l’assimilation culturelle.

Quatre-vingt-dix pour cent de la musique sur mon Ipod est en anglais, quatre-vingt-quinze pour cent de ma journée se passe en anglais, quatre vingt-seize fois sur cent je préfère la cuisine occidentale à l’orientale et cent pour cent de mes pensées sont en anglais. Au fil de la dernière douzaine d’années je n’ai passé que quatre mois en Asie dont moins d’un mois à Taïwan. Je ne suis pas au courant des célébrations culturelles du Nouvel An ni de la Fête chinoise de la Lune. Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de vedettes chinoises que je peux nommer. Si vous m’interpellez par mon nom de naissance chinois, je ne vous répondrai pas.

Mes amis « interculturels » ont vécu des expériences animées, naviguant dans cette dualité. Ils ont de terrifiants, mais aussi d’excitants récits, à partager, racontant leur nouvelle vie à l’étranger. Ils ont parcouru de longues distances pour franchir maints obstacles culturels et en arriver à un équilibre. Ils ont de merveilleux et réconfortants souvenirs de leur pays natal. Je n’ai rien de cela. Mes racines culturelles ont été fermement plantées dans l’Ouest bien avant que ma famille ne quitte l’Orient.

Je suis née dans un hôpital métropolitain de Taïwan, entourée de ma famille chinoise et dotée d’un nom traditionnel mandarin de trois caractères. J’ai grandi dans une famille moyenne en banlieue de Taipei parlant le mandarin. Dès l’âge de six ans, je fréquentais l’école locale chinoise. Mes deux parents travaillaient, donc après l’école je me retrouvais dans un centre d’enseignement où les leçons se donnaient principalement en anglais. Déjà, je commençais à voyager entre les deux cultures, entre l’anglais et le mandarin, bien avant de quitter Taïwan.

Enfant, naviguant entre les divisions de ces deux langues, je me suis vite rendu compte que je représente une faille dans l’architecture culturelle de l’univers.

J’ai connu une difficulté immense à maîtriser le mandarin. Les traits des caractères chinois me semblaient anormaux, inorganiques et étranges. J’éprouvais beaucoup de difficulté à prononcer certains mots, tel que le mot pour « ours » qui se prononce xióng mais qui sortait toujours de ma bouche comme óng.

Mon échec en chinois n’aurait pas paru si étrange si ce n’avait été pour ma capacité à apprendre l’anglais. Ma langue parvenait à vocaliser les composés de l’alphabet anglais et je manœuvrais avec confiance l’écriture et la syntaxe. Mon sentiment d’appartenance s’ancrait dans la culture occidentale à travers la littérature britannique, les films de Hollywood et la musique de Broadway. J’abandonnais la souveraineté ethnique d’une culture avec laquelle je n’ai jamais ressenti de lien et je m’assimilais aux coutumes de la vie occidentale.

Pourtant, le paysage ethnique si varié de Vancouver est toujours là pour me rappeler que j’ai un passé qui surpasse les limites culturelles de l’Ouest et les frontières du Canada.

Vancouver est une ville entre deux mondes, la ville du peut-être, du pas tout à fait. Une ville qui n’est ni vraiment glaciale ni suffocante; ni grande métropole ni petit centre. Vancouver représente un mélange de l’historique et du moderne, du tout récent et de l’ancien, de l’Orient et de l’Occident. Les limites fragiles entre la culture, le temps et l’espace libèrent de l’obligation de choisir son camp. Ce sens de liberté de pouvoir vivre en marge des rencontres culturelles est une caractéristique de Vancouver que je commence tout juste à percevoir.

Un pied sur le sol vancouvérois et mes racines fermement plantées dans les traditions occidentales, je commence à aspirer à un renouvellement de mon identité chinoise. Vivre à Vancouver me permet d’arroser ces racines chinoises après une longue sécheresse… sans contraintes, sans attentes et sans déclarer d’allégeance.

Traduction Barry Brisebois