De plus en plus d’organismes et de particuliers tirent la sonnette d’alarme : Les Canadiens seraient-ils en train de perdre leurs droits fondamentaux ? C’est ce que pense Pearl Eliadis, une avocate de Montréal qui vient d’écrire un livre sur le sujet.
Pearl Eliadis est une femme de défis et d’engagements. Spécialisée dans la défense des Droits de la personne, elle œuvre, depuis une vingtaine d’années, tant au Canada qu’à l’étranger. Depuis sa dernière mission au Soudan, elle a repris ses activités dans son cabinet de la métropole québécoise.
Elle était récemment à Vancouver, début juin, où elle a tenu une conférence à la bibliothèque centrale de la rue Georgia, pour présenter son dernier livre Speaking out on Human Rights. Dans cet ouvrage publié aux éditions McGill-Queen’s University Press, celle qui a reçu en 2012 la médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II, remet en question le système canadien de défense des Droits de la personne. « J’ai voulu exposer les mythes qui entourent ces commissions et ces tribunaux, présenter leurs défauts, réagir aux féroces controverses dont ils ont fait l’objet et qui leur ont été préjudiciables », explique-t-elle. Ainsi, la commission des Droits de la personne de la Colombie-Britannique a été dissoute en 2003, celle de la Saskatchewan
en 2011.
« Nous étions exemplaires »
Ces institutions ont vu le jour après les mouvements des syndicats canadiens et des manifestations pour les droits civiques aux États-Unis, dans les années 1940 et 1950. Elles ont été instaurées, dans chaque province et territoire, dans les années 60 et ont été « les fondations de la Charte canadienne des droits et des libertés » du 17 avril 1982. À cette époque, le pays faisait preuve d’une audace libertaire significative.
Plus de trente ans après, il a perdu de sa superbe. « Nous étions exemplaires dans de nombreux domaines. L’abandon du protocole de Kyoto, la question des droits des autochtones ou bien encore l’exploitation des sables bitumineux sont autant de dossiers qui entachent notre réputation », déclare celle qui fut nommée Femme de l’année en 2009, par le conseil montréalais des femmes. Les Droits de la personne au Canada sont en péril. Au Québec, les personnes qui s’estiment bafouées peinent à joindre leur commission. « Seuls 5% des plaignants sont entendus. Ils sont 80% en Ontario. Pour ce qui est de l’accès à la Justice, nous ne sommes pas tous égaux », regrette Pearl Eliadis.
Un éventail sans précédent de mesures restrictives
L’avocate n’est pas la seule à s’alarmer. Le comité d’avocats Lawyer’s Right Watch Canada (LRWC), basé à Vancouver, vient de rédiger un rapport sur le sujet. Il sera présenté lors de la 26e session du conseil des droits de l’homme des Nations unies, programmée du 10 au 26 juin, à New York. « Depuis 2010, le Canada a déployé un éventail sans précédent de mesures visant à réduire les pouvoirs juridiques, politiques et financiers des organismes de défense des Droits de la personne du pays », soulignent les auteurs. Ces derniers dénoncent notamment « le ciblage sélectif d’organisations par les autorités fiscales, afin de leur supprimer leur statut d’organismes de bienfaisance », ainsi que « la diffamation publique de celles et ceux qui affichent ouvertement leur désaccord avec le gouvernement ». Une telle pratique tend à les présenter comme « des dangers pour l’État » et permet donc de les épier « en toute impunité ».
Si la situation est grave, elle n’est pas désespérée. « La vie au Canada reste plus agréable que partout ailleurs », estime Pearl Eliadis. « Quand je pars travailler, je ne suis pas suivie, je n’ai pas peur qu’une bombe explose sur mon passage ou qu’on enlève mon enfant. »
Le meilleur moyen de lutter contre les inégalités grandissantes ? « Oser dire la vérité ! On a perdu des acquis, ce n’est pas une raison pour se taire. C’est aux citoyens de se réapproprier leurs droits. » Dans ce combat, les réseaux sociaux constituent « une amélioration positive ». Ils ont libéré la parole. L’un des exemples les plus probants reste l’indignation générale – fortement relayée via Internet – qu’a suscitée l’enlèvement de plus de deux cents lycéennes à Chibok au Nigéria, le 14 avril, par le groupe islamiste armé Boko Haram.
« Le bienfait de cette tragédie, si tant est qu’il y en ait un, c’est qu’elle a engendré une sensibilisation de l’opinion sur des pratiques intolérables qui ont cours depuis des décennies. »
On dénombre actuellement quelque 160 systèmes de protection des Droits de la personne à travers le monde. Il y en avait moins d’une dizaine, il y a vingt ans.