Quand j’ai vu, en vitrine, une montre à vendre pour un peu plus de trente mille dollars canadiens, j’ai compris que l’industrie touristique suisse ne s’intéressait guère aux touristes comme moi. Les visiteurs au revenu moyen feraient mieux de s’abstenir.
Voici quelques exemples de prix. Si vous prenez un taxi, il vous faudra payer 7,50 $ canadiens pour la prise en charge et 4,50 $ par kilomètre. Pour un lit dans un dortoir d’une auberge de jeunesse, attendez-vous à payer de 40 à 60 $. Dans un hôtel bas de gamme, un couple aurait bien de la chance de trouver une chambre pour moins de 250 $, sachant que les prix sont affichés par personne et non par chambre comme cela se fait presque partout ailleurs. Les voyageurs nord-américains qui se sont aventurés dans ce piège à riches, se racontent avec horreur leurs histoires de factures musclées : « J’ai payé 5 $ pour un café ordinaire », dit l’un. « J’ai payé 16 $ pour un verre de vin », dit l’autre. Évidemment, il ne faut pas vous attendre à un repas décent dans un restaurant ordinaire à moins de 100 $ par personne. Les transports publics sont également plus chers que dans les pays voisins.
Qu’est ce qui explique ces prix ? La valeur du Franc suisse et les hauts salaires. Le revenu mensuel moyen net (donc après impôt) est de sept mille dollars. L’industrie touristique suisse se positionne donc sur le haut de gamme, n’étant pas du tout intéressée par le tourisme de masse ou les backpackers qui se promènent avec le Guide du Routard dans la poche. Bien sûr, tous les Suisses ne sont pas de riches banquiers et les citoyens au revenu moyen évitent, eux aussi, de faire du tourisme dans leur propre pays. Dès qu’ils ont quelques jours de congé, ils vont en France ou en Italie où tout est plus abordable.
Est-il possible de visiter la Suisse sans être riche ? Oui, mais il faut bien planifier son coup. Le plus simple est de se baser dans un pays voisin d’où l’on peut aller passer la journée en Suisse, sachant que de nombreuses villes, comme Genève, Bâle ou Lugano sont des villes-frontières. Les formalités à la frontière sont rapides, voire inexistantes, bien qu’on dise souvent que les visiteurs d’origine ethnique non européenne sont plus souvent la cible des gardes-frontière helvètes. A partir d’Annecy en France ou des petites villes avoisinantes, on peut prendre un bus pour aller à Genève en moins d’une heure. A partir de Côme, en Italie, des trains régionaux fréquents vous emmènent à Lugano. De Mulhouse, en France, il est facile de se rendre à Bâle en train pour une vingtaine de dollars aller et retour. Si vous êtes en voiture, c’est encore plus simple car la Suisse est un si petit pays au point qu’il est difficile d’être à plus de deux heures de route d’une frontière internationale. Il convient tout de même de faire très attention à éviter les amendes pour infraction au code de la route, car, comme tout le reste, elles coûtent très cher.
Il est également possible de visiter une ville suisse sans dépenser une fortune. Il suffit de faire attention. Les villes ne sont pas immenses et on peut très bien les visiter à pied en évitant de prendre trop souvent les transports publics. Pour manger, il existe des cafétérias dans les grands magasins où l’on peut se nourrir convenablement à des prix raisonnables. Il existe, bien sûr, les pizzas, kebabs, hamburgers, et autres qui seront plus chers que dans les pays voisins mais pas au point d’hypothéquer votre condo vancouvérois. Il n’est pas non plus impératif d’acheter des souvenirs, sachant que les fameux couteaux suisses, le chocolat ou les montres ne sont pas moins chers que dans les pays voisins.
La Suisse vaut-elle le détour ? Comme tout pays européens, la Suisse a une histoire et une culture riche et complexe, mais ce n’est pas immédiatement apparent pour le touriste de passage. Les montagnes sont belles mais pas plus que les Alpes des pays voisins. Les villes sont propres et agréables mais sans plus. Sans parler du fait que les vieux bâtiments qui ont un certain charme côtoient les édifices modernes sans intérêt érigés pour rappeler qu’en Suisse, les affaires passent avant toute considération esthétique. Les villages sont souvent sans vie. Ne vous attendez pas à trouver une place centrale avec des terrasses de café animées comme dans les pays méditerranéens. L’ambiance est plus West Vancouver un lundi après-midi que Barcelone un vendredi soir. La Suisse est une zone spéciale entourée de l’Union européenne dont elle ne fait pas partie. C’est une réserve naturelle où la faune des milliardaires étrangers roupille à l’abri des percepteurs d’impôts. C’est à l’Europe ce que Shaughnessy est à Vancouver. Les citoyens au revenu moyen n’ont rien à y faire. Des dizaines de milliers de travailleurs étrangers traversent chaque jour la frontière et viennent faire marcher « l’entreprise »
avant de retourner sagement chez eux tous les soirs en France, en Italie ou en Allemagne. D’autres s’installent pour y faire le travail que les Suisses ne veulent plus faire. Ils sont mal aimés mais tolérés.
Pour les touristes, c’est un peu la même chose. Si vous n’êtes pas riches, vous êtes autorisés à venir mais pas nécessairement bienvenus. En Suisse, j’ai l’impression d’être entré par inadvertance dans le hall d’un hôtel de luxe où il suffit au portier de regarder mes vêtements pour savoir que je n’ai rien à y faire.