Impossible d’imaginer la France sans bistrots. Les cafés de France ne sont pas que des marchands de boissons, ce sont des piliers de l’identité nationale française. Pourtant, ils disparaissent à un rythme alarmant. Chaque jour, trois ou quatre cafés ferment. A Paris et dans d’autre grandes villes, l’espace commercial laissé libre est souvent repris par une chaîne multinationale de restauration minute. Il ne resterait que de 30 à 40 mille bistrots en France. Ça peut paraître beaucoup, mais il faut savoir qu’en 1910, alors que la France n’avait que 42 millions d’habitants, il y avait plus de 500 mille débits de boisson. En 1960, il y en avait encore cinq fois plus qu’aujourd’hui.
Les raisons de ces fermetures sont multiples. Il y a d’abord la baisse du pouvoir d’achat des clients alors que le prix des boissons a augmenté plus rapidement que le taux général de l’inflation, et le fait que les Français boivent beaucoup moins que par le passé. Il y a aussi les contrôles sévères pour les automobilistes, ce qui tue les bistrots de campagne car dans les régions rurales, tout le monde se déplace en voiture. Les propriétaires de cafés notent que les lois anti-tabac ne les ont pas aidés non plus. Mais il y a surtout les profonds changements de société qui ont transformé les modes de vie. Avant la Deuxième Guerre mondiale, les hommes passaient leurs soirées au bistrot pour voir leurs amis, jouer aux cartes et discuter. Le café était au centre de la vie sociale. A partir des années 60, la télévision a bouleversé ces habitudes. Mais on continuait à aller beaucoup au bistrot, non seulement pour boire mais pour acheter un sandwich, passer un coup de téléphone, acheter un paquet de cigarettes. Maintenant, les cigarettes s’achètent souvent dans des magasins séparés, les sandwichs se vendent dans les boulangeries et les chaînes spécialisées et, pour le téléphone, on a le portable.
La plupart des bistrots n’ont pas pu s’adapter à ces changements. Il existe de nombreux cafés sales et décrépis dont les propriétaires n’ont pas les moyens d’assumer les travaux de rénovation. Dans bien des cas, ils vivotent tout en voyant leur chiffre d’affaires baisser d’année en année jusqu’à ce qu’ils soient obligés de mettre la clé sous la porte. Mais en tant que client, il n’y a pas lieu de pleurer dans son pinard. On perd en quantité mais on y gagne en qualité. Les cafés qui survivent sont ceux qui on fait des efforts d’adaptation. Le service est meilleur, le décor plus soigné et, sachant qu’ils ne survivront pas en se contentant de vendre des ballons de gros rouge sur le zinc, ils fidélisent la clientèle en offrant des petits plus comme le wifi gratuit, des amuse-gueule avec l’apéro, de la musique agréable etc. Certains organisent des événements, soit des concerts, des cafés philo ou des tournois d’échecs. Que les touristes se rassurent, ils ne risquent pas de débarquer bientôt dans une France sans bistrots. Que ceux qui sont nostalgiques du bistrot tristounet où un tenancier lugubre vous fait la gueule en vous servant un mauvais vin se rassurent, il en existe encore. Mais d’une manière générale, j’ai l’impression que la plupart des cafés s’améliorent, au point que dans les grandes villes, vous avez maintenant 50% de chance de trouver des toilettes propres.
La diminution du nombre de bars n’est pas un phénomène uniquement français. En Italie et en Espagne la crise en a éliminé beaucoup. En Grande-Bretagne, quelque 20 mille pubs ont fermé depuis 1982. La moitié des villages n’en ont plus du tout. A Londres, où le prix des propriétés foncières atteint des records mondiaux, les propriétaires trouvent souvent plus avantageux de fermer boutique et de céder le bâtiment à un promoteur immobilier. Là aussi, les établissements qui résistent sont ceux qui on su évoluer et améliorer la qualité. Ils soignent la nourriture (enfin, dans le contexte de l’Angleterre), offrent du vin, du café et du thé et non plus seulement de la bière. Ils ont également réussi à contourner les lois anti-tabac. De nombreux pubs disposent d’une cour arrière dans laquelle ils ont érigé une tente, chauffée l’hiver, où l’on peut amener sa bière et cloper tranquillement à l’abri de la Gestapo anti-fumeurs. Bref, tant que la France et l’Angleterre existeront, les bistrots et les pubs y seront encore, quoique moins nombreux.