Identité culturelle – « Dis donc toi, d’où tu viens au juste ? »

Pierre Claveau

Pierre Claveau

La question est crue. C’est mon nouveau voisin qui sort son chien pour ses petits besoins… un gros truc blond à poil long qui semble vouloir prendre son temps (on parle du chien, bien sûr). Le voisinage ici est important : les gens aiment savoir qui demeure près de leur cour, question d’évaluer s’ils devront éventuellement ériger une clôture ou poursuivre la tradition de laisser aller au gré des saisons le vent qui vient de la mer, sans freiner sa route d’un terrain à l’autre avec des structures souvent laides et toujours embêtantes en hiver. La poudrerie a tôt fait de souffler 3 mètres de neige qui ne fondront jamais au printemps.

« J’viens de la côte Ouest, de Vancouver en fait. »

« Ah tiens, tu sonnes plutôt québécois. Y’a des francophones sur la côte Ouest ? »

Et c’est reparti. On ne s’est pas encore dit bonjour, allô, bienvenue dans le coin, heureux de faire ta connaissance, beau chien. On passe tout de suite à l’identité culturelle.

C’est qu’ici, dans le nord du Nouveau-Brunswick, la couleur culturelle définit à peu près tout… un phénomène intéressant que l’on sous-estime quand on vient d’ailleurs. J’étais journaliste ici il y a 40 ans, quand le mouvement politique acadien était en pleine montée. Le maire Jones venait de rejeter toute idée de bilinguisme à Moncton, alors au deux-tiers francophone. À Bathurst, dans le nord-est, tout se passait en anglais. Quatre décennies plus tard, bien des choses ont changé, mais sa carte d’identité culturelle demeure un, sinon le premier, élément de définition de la personne qu’on rencontre pour la première fois. On veut d’abord savoir si on a affaire à un Acadien, à un Anglophone, à un Québécois. Et ensuite, on passe aux détails.

Après 35 ans sur la côte ouest, j’avais oublié ces formalités. On ne se pose pas vraiment de questions sur l’origine des gens à Vancouver. Ça ne finirait plus. On passe tout de suite à l’anglais, comme dirait Boucar. Si la personne nous adresse la parole en français, à la mode « Bonjour, merci ! », ce sera un cadeau, on se dit que c’est sans doute un francophile… Pour un Francophone, ce sera la fête verbale : on sortira les guirlandes et on fera connaissance.

Mais au fait, je suis quoi au juste !? Tékitoi, tékimoi, disait Rachid. Quand tout commence par ton identité culturelle, que réponds-tu à la question « tu viens d’où, toi ? ».

Quand on y pense bien, c’est trop facile de sortir les référents géographiques de sa poche arrière pour affirmer « to the go » qu’on est Québécois, Français ou Algérien. Un Montréalais en phase d’anglicisation volontaire n’a aucune angoisse à s’affirmer Québécois, et c’est tout naturel, le Québec n’étant pas que francophone. Même chose pour le nouvel arrivant venu de Russie ou du Vietnam et qui n’hésitera pas à se faire appeler Québécois pratiquement dès son arrivée à Chicoutimi ou à Laval. Il lui suffira de l’affirmer – même en anglais – et personne ne le contestera. Jacques Parizeau en sait quelque chose.

Qu’en est-il alors des Franco-Colombiens ? De tous ceux et toutes celles qui portent leur identité culturelle dans le coeur plutôt qu’au piquet d’arpentage. Faut-il être né en Colombie-Britannique pour être Franco-Colombien ? Si oui, il faudra que la FFCB révise ses données. Ceux et celles des «patries d’adoption» ont-ils le droit de prendre une identité ? Tout francophone que je sois dans ce nouveau milieu que je veux faire mien, aurais-je le droit de passer un jour pour… un Acadien ? Meuh non, vous savez bien, parce qu’une autre notion vient d’entrer en jeu, le coeur n’étant pas suffisant pour obtenir ses papiers d’adoption : il faut aussi ajouter l’Histoire et le Patrimoine.

La grande masse anglophone – la mer anglophone – dont on parle toujours pour excuser toutes les faiblesses dans l’Ouest, est tout aussi présente sur la côte Est, et je dirais même, plus menaçante. Pas que les anglophones des Maritimes soient plus méchants que les autres, au contraire. Ce sont de braves gens. Mais l’histoire du maire Jones ne s’est pas écrite toute seule. Elle aussi est bien ancrée dans la grande Histoire, et les animosités des deux derniers siècles et demi entre les deux cultures sont souvent encore bien tangibles sur le territoire du Nouveau-Brunswick où les drapeaux acadiens claquent près du tricolore orangé de l’Irlande. Il n’est pas rare de voir deux maisons côte à côte arborer leurs couleurs différentes, la fière étoile acadienne placardée partout sur la maison de l’un et le tissu vert, blanc et orange étendu sur les murs de l’autre.

Et pourtant, dans les corridors des écoles francophones locales, ce sont des accents bien acadiens et francophones qui se conjuguent. À pleins poumons ! Au gymnase de la grande école secondaire de Bathurst, on s’interpelle et on se tire le ballon en français, même après les heures de classe ! Pas un français imposé par le personnel de l’école, non ! Un français naturel, le même que l’on affiche dans les épiceries locales, les supermarchés, au Walmart tiens donc. Rappelez-vous, je vous disais qu’il y a moins d’une génération, Bathurst était majoritairement anglophone. C’est le contraire aujourd’hui !

Pour le nouvel arrivant que je suis dans cette terre où grandissent mes petits-enfants, il y a une grande leçon à tirer. À ceux qui me le demandent, j’affirme sans hésitation que je suis Franco-Colombien parce que mes racines culturelles sont encore ancrées là-bas. Mais qu’à cela ne tienne… Je ne peux qu’éprouver une admiration sans bornes pour la force de ce peuple sans frontières, ces Touaregs de la culture francophone qui n’éprouvent aucune gêne à s’affirmer et à afficher les couleurs éclatantes de leur langue, à enseigner à leurs enfants la fierté de leur Histoire et la richesse de leurs acquis. La preuve de l’identité acadienne coule dans le sang.

Si seulement on pouvait transférer quelques atomes de cette force aux jeunes francophones de la côte Ouest avant qu’on les absorbe tous sous le giron francophile à force de compromis, tant dans les écoles que dans les institutions que des André Piolat et Martine Galibois ont mis tant d’efforts à bâtir.

PIERRE CLAVEAU

Après ses études à l’Université Laval, Pierre commence sa carrière en communication à la Communauté urbaine de Québec comme agent d’information. Embauché par Radio-Canada en 1975, il déménage à Moncton et quatre ans plus tard, à Vancouver. Journaliste et animateur, Pierre a toujours consacré son énergie à valoriser les actions des communautés francophones du Canada. Recruté par le Conseil scolaire francophone de la C.-B. en 2009, il a contribué au rapprochement des écoles du CSF de leurs communautés. Il vit présentement au Nouveau-Brunswick.