Un jeu d’équilibriste… c’est ainsi que je perçois mes conversations depuis mon arrivée à Vancouver il y a quelques mois. Entourée et abreuvée d’un anglais nord-américain, d’un français québécois et d’un français de ma France natale, j’aime jongler chaque jour, au travail et en dehors, entre ces trois cultures qui me sont chères. Mais je me surveille aussi beaucoup. Du moins j’essaie… Résultat ? Je parle désormais une sorte de “franglais” étrange aux intonations parfois québécoises et aux expressions pas toujours comprises par mes interlocuteurs. Un “FranQuéGlish” qui se rapproche maladroitement de l’Acadien et qui fait sourire, voire rire aux éclats parfois.
Allez donc essayer de faire comprendre à votre famille ou à vos amis de France qu’ici on a “une” job, pas “un job”. Que vous n’allez pas à “une fête d’anniversaire” mais à “un party de fête”. Ou que l’on dîne le midi et que l’on soupe le soir… À l’inverse, allez donc tenter d’expliquer à un Québécois qu’en France ou fait du “shopping”, pas du “magasinage” ou que l’on gare notre voiture sur un “parking”, pas un stationnement… Oui, le français de France aime les anglicismes et les mots en -ing. De là à dire que les Français charcutent la langue de Molière pendant que les Québécois tentent de la préserver en milieu minoritaire…
Mais alors qui a tort ? Qui a raison ? J’ai, pour ma part, arrêté de chercher la réponse. D’autant qu’elle ne se situe pas forcément en France ou au Québec puisque l’avenir du français se trouve en Afrique. Selon l’Organisation mondiale de la francophonie, 85 % des francophones se trouveront sur le continent africain d’ici à 2050. Au total, quelque 750 millions de personnes devraient alors parler le français et il sera donc lié à des contextes nationaux davantage multilingues. Nul doute que les accents vont également monter en puissance, peut-être même pour supplanter le français hexagonal. Celui de ceux qui pensent ne pas en avoir.
Ici au Canada, mon français de France est plutôt bien accueilli, mieux en tout cas que le français québécois dans mon pays. Être québécois en France, c’est d’abord avoir la place du cousin exotique qui fait sourire, qui nous divertit tellement avec ses expressions imagées que l’on n’ose plus depuis longtemps. Il est bien évident en revanche que ce folklore et cette camaraderie n’ont pas leur place dans le milieu des affaires – et notamment celui des médias qui est le mien. Si les Français peuvent facilement conquérir des marchés au Canada, les Québécois, eux, sont beaucoup moins crédibles du point de vue des hautes sphères françaises (principalement parisiennes) qui croient parler “le vrai français”, celui qui est “le plus neutre”.
Bien souvent, il vous faudra donc, ami Québécois, “effacer” votre accent au même titre qu’un belge ou même un Marseillais ou un Toulousain si vous voulez travailler dans les médias, à moins que vous ne deveniez chroniqueur sportif. Parce que, vous comprennez, parler rugby avec un accent du sud-ouest, c’est de bon aloi.
Quel dommage de voir que la France – réputée terre d’accueil – se prive d’autant de multiculturalisme… N’y a-t-il qu’une seule bonne recette pour faire un boeuf bourguignon, un Paris-Brest ou une poutine ?
Vancouver sait parfaitement démontrer le contraire chaque jour par son brassage de cultures et la créativité qui en ressort. Elle m’a montré qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais français, pas de bon ou de mauvais accent. Elle m’a montré qu’il existe, en fait, autant de français que de francophones. Elle me permet de m’en retourner perfectionner mon “FranQuéGlish”, sans complexes. Un “FranQuéGlish” qui exprime mon vécu, mes expériences et les cultures que j’ai faites mienne. Et ce n’est que le début.
« Parler avec accent signifie s’adresser au sentiment, et alors tout est renversé » – Arthur Schopenhauer