Qui aurait cru que le quartier de Tower Hamlets, à Londres, allait devenir un haut lieu du tourisme « branché » ? Certainement pas les Français pour qui ce genre d’endroit est appelé « les quartiers » auxquels on ajoute le qualificatif de « difficiles ». C’est vrai que ce coin de la capitale britannique, à l’est de la city (le quartier des affaires) a toujours été pauvre et souvent insalubre.
Longtemps dominé par des entrepôts, des usines, des ateliers et des brasseries industrielles,
Tower Hamlets a accueilli des vagues successives d’immigrants. D’abord, au 17e siècle, les réfugiés protestants français qui fuyaient les guerres de religions. Puis ce furent les Irlandais qui fuyaient les famines. Vint ensuite le tour des Juifs qui fuyaient les pogroms d’Europe continentale. Enfin, après la Deuxième Guerre mondiale et la dissolution de l’Empire britannique, ce sont les immigrants de la péninsule indienne qui se sont installés dans différents quartiers de Londres. Tower Hamlets, plus particulièrement la longue rue appelée Brick Lane, est devenue la terre d’asile des Bangladais et plus particulièrement ceux qui venaient d’une région bien particulière du Bangladesh… Sylhet. Les Huguenots et les Irlandais qui ont dominé le quartier dans le passé se seront fondus dans la nation anglaise il y a des générations et se sont éparpillés aux quatre coins du pays. Les Juifs ont fait de même plus récemment. C’est maintenant les Bangladais qui dominent le quartier, encore que les Somaliens, plus récemment arrivés, forment déjà une présence prépondérante dans certaines rues du quartier.
Les Bangladais ont trouvé leur « truc » pour se faire une place au soleil sous le ciel gris de la Grande-Bretagne, la cuisine. A travers tout le pays, ce sont eux qui sont prédominants dans le secteur des curry houses ces restaurants « indiens » que l’on trouve dans toutes les villes de Grande-Bretagne. Dans la rue Brick Lane, leur point de chute d’origine, certains restaurants, comme Papadom’s, se sont taillé une solide réputation. Il n’est pas rare de voir une foule d’Anglais et de touristes faire la queue pour obtenir une table dans ces restaurants, même si certains d’entre eux (Islam oblige) ne vendent pas d’alcool. Il y a quelques années, les commerçants du quartier, les autorités municipales et les organes de promotion touristique, ont œuvré ensemble pour faire de Brick Lane un endroit à la mode. En plus des restaurants, les vieux bâtiments industriels de l’ère victorienne ont été transformés en marchés aux puces et galeries d’art. Les boîtes de nuit branchées ont suivi. Les guides touristiques se sont mis à vanter cette nouvelle destination. Brick Lane est maintenant toujours pleine de monde. Les bobos achètent des objets d’art à deux pas des HLM (logements sociaux), les fêtards croisent les femmes voilées, des restaurants à la mode sont situés à côté de la principale mosquée et, s’il n’y a pas toujours beaucoup d’interaction entre ces groupes différents, il n’y a pas non plus de tension ou d’animosité. Chacun vit à sa manière et se côtoie sans vraiment se mélanger. Là où les Français déploreraient un manque d’intégration des différentes communautés, les Anglais y voient un exemple de multiculturalisme réussi. Alors que les Anglais présentent les différents quartiers ethniques comme des atouts touristiques, les Français font comme si ces différentes communautés n’existaient pas.
Les sites internet et les brochures du bureau du tourisme de Marseille disent bien que la ville est cosmopolite et qu’elle a toujours accueilli des populations venues des quatre coins de la Méditerranée. C’est tout. Après ça, c’est Pagnol, la bouillabaisse et les musées. Il y a pourtant, dans les vieux quartiers de Marseille, des rues commerçantes qui rappellent les souks d’Afrique du Nord. J’ai trouvé l’endroit plutôt intéressant, mais quand j’ai demandé à un avocat marseillais de « bonne famille » pourquoi cet aspect de la ville n’était pas mis en valeur du point de vue touristique, il a marqué un silence surpris avant de répondre : « Mais monsieur, vous n’y pensez pas ! On ne veut pas faire peur aux touristes en leur disant que Marseille ressemble à l’Afrique du Nord. » Un chauffeur de taxi auquel je posais la même question, m’a répondu avec un accent plus folklo mais dans un langage moins diplomatique : « Oh putain ! Vous voulez envoyer les touristes dans les quartiers nord (quartiers “sensibles”), ils vont se faire plumer ! » Quand je suis descendu du taxi, il en riait encore. Il faut se rendre à l’évidence, les Brick Lane à la française… Ce n’est pas pour bientôt.