Par désir d’équilibre, d’équité et peut-être de vérité également, j’ai souhaité réagir à la carte postale de Pascal Guillon du 10 février 2015 sur la médiocrité des Français concernant la langue anglaise.
Il est vrai que les habitants de l’Hexagone ont toujours été fascinés par les États-Unis d’Amérique, ce pays lointain aux routes aussi longues que certaines phrases de Proust. Cependant, s’ils utilisent des mots anglais dans leur vocabulaire sans prendre la peine de les traduire, ils n’en restent pas moins des latins avec un système de pensée bien à eux, loin de celui des Américains du nord.
En effet si on utilise les mots « marketing », « freelance » ou encore « manager » et « process » dans le vocabulaire de l’entreprise, il est néanmoins nécessaire pour une direction de donner des raisons et un préavis pour licencier un employé là où en Amérique du nord on se retrouve escorté par un vigile jusqu’à la porte sans même pouvoir prendre ses affaires ou parler à ses collègues.
Il est aussi des plus cocasses de découvrir au Canada les traductions automatiques sur les emballages des produits de consommation. On peut ainsi trouver, sur un grand réseau social, le groupe « Chasseurs de traductions les plus absurdes ! » Un florilège de traductions hasardeuses oú, par exemple, la mention « cruelty free/gluten free » sur un produit cosmétique a été traduite : « la cruauté libre/gluten libèrent ».
Il est également surprenant d’essayer de parler avec de nombreux Vancouvérois qui, après avoir passé plusieurs années dans des écoles d’immersion française sont bien incapables de faire la moindre phrase correcte en français. Rappelons que le Canada a deux langues officielles, l’anglais et le français. N’y aurait-il que les Français qui ont des difficultés dans l’apprentissage des langues étrangères ?
Les Québécois si attachés à la sauvegarde de la langue française n’ont pourtant pas pris la peine de vérifier l’existence de certaines expressions. Ainsi « tomber amoureux », « faire une balade » ou « écouter une chanson » obtiendront leurs pendants québécois, traductions littérales issues des expressions anglaises qui donneront : « tomber en amour », « prendre une marche » ou « jouer une toune ». Comble de toutes, je me permets également d’évoquer l’expression « écouter la télévision » qui me paraît des plus incongrues car si en France on n’avait dû que prêter l’oreille à cet objet nous nous serions contentés de la radio.
Chaque langue évolue et mute suivant les époques grâce à diverses influences liées au contexte économique, politique et social. D’ailleurs, d’après une enquête de 1973, 28,3% des 80 000 mots du Shorter Oxford Dictionnary viendraient du français. Par exemple le mot anglais « mail » vient du français « malle poste » qui était le véhicule des postes qui transportait les lettres (cf. La revue dessinée numéro 6). Ce même mot « mail » ayant donné « e-mail » traduit « courriel » par les Québécois.
Alors oui, une langue c’est un écosystème nourri de la diversité des mots qui l’habitent et la meilleure manière de la préserver est, à mon avis, de la laisser vivre même si elle doit s’éprouver à quelques néologismes et bizarreries syntaxiques, plutôt que d’essayer de l’enfermer dans un conservatoire moral de la bien-pensance. Ça vous sonne une cloche ?
Frédéric Etanchaud à Vancouver