Depuis le 11 février dernier, le Centre culturel canadien de Paris présente une exposition pour le moins originale. Non loin du Musée Rodin, six acteurs vancouvérois semblent revisiter Les Bourgeois de Calais (1885), le monument le plus célèbre du sculpteur français. Conçue par Adad Hannah, artiste photographe et vidéaste de Vancouver, et le cinéaste québécois Denys Arcand, l’installation vidéo intitulée Les Bourgeois de Vancouver construit et déconstruit le groupe sculpté avec des acteurs d’aujourd’hui.
Censés représenter la population de la ville canadienne, les six acolytes, qui n’ont de prime abord rien en commun hormis le fait d’éprouver des difficultés à trouver un emploi temporaire, sont engagés par un mécène inconnu pour jouer l’œuvre de Rodin dans les rues de Vancouver. La pièce met ainsi en scène un poète anonyme, une vieille dame chinoise ne parlant que sa langue maternelle, un fraudeur, un athlète, un employé congédié et une ex-junkie qui se retrouvent chaque jour côte à côte en face de la galerie d’art de Vancouver pour donner vie à la statue avant de retourner chez eux . « Je trouve intéressante l’idée d’offrir de la mobilité à un art considéré comme figé », explique Adad Hannah. Empreints de réalisme, les portraits de ces personnages reviennent sur les motivations qui les ont poussés à accepter cet emploi sans que l’identité de leur employeur ne puisse filtrer. Filmé sous la forme de documentaires, le projet passe de la vie privée aux masques des représentations sociales avec en toile de fond une comparaison entre le sacrifice et la soumission des six bourgeois de Calais liés aux événements de 1347 et la contrainte physique imposée à ces six travailleurs temporaires qui se doivent de rester silencieux, immobiles et anonymes pendant des heures contre une rémunération. L’origine d’un tel scénario prend forme dans l’intérêt que porte Adad Hannah pour les individus qui permettent à l’art de se réaliser à l’image des fondeurs de bronze de Rodin ou encore des modèles qui venaient autrefois poser pour Matisse. « L’art, pour exister, a besoin de mille personnes obscures », confie celui qui est arrivé à Vancouver au début des années 80 après une enfance passée entre Israël et l’Angleterre.
Une fascination pour Rodin
C’est ainsi que l’idée des Bourgeois de Vancouver a vu le jour. Il faut dire qu’Adad Hannah éprouve depuis longtemps une certaine fascination pour Rodin et son œuvre. Pour preuve, deux autres créations intimement liées au travail du sculpteur français font également partie de l’exposition parisienne : La série photographique Unwrapping Rodin et la composition d’écrans Les Bourgeois de Calais: Crated and Displaced (2010). Étant donné son attachement pour le sculpteur français, se rendre en France en collaboration avec le musée Rodin aura représenté pour l’artiste natif de New-York « une grande fierté ». « J’ai toujours été fasciné par Rodin parce que le cœur même de son art embrasse la période classique et l’époque contemporaine. J’aime le fait que ses œuvres et son style aient pu se révéler à travers deux courants différents », note Adad Hannah. Un héritage francophone qu’il a donc souhaité revisiter et faire connaître à l’autre bout du monde dans une ville comme Vancouver « où la statue de Rodin et le fait historique qu’elle dépeint n’évoquent que très peu de choses pour la plupart des gens. » Peut-être un peu moins d’ici quelque temps…
Les Bourgeois de Vancouver
Au Centre Culturel canadien de Paris jusqu’au 16 mai
Tarifs : Entrée libre
Les Bourgeois de Vancouver sera aussi présentée au Musée des beaux-arts de Montréal du 30 mai au 18 octobre et au Toronto International Film Festival, en septembre.
Visionnez Les Bourgeois de Calais sur Internet grâce au lien suivant :