Parmi les quelques 435 romans français publiés lors de la rentrée littéraire très réussie de 2011, les paysages géographiques privilégiés par les auteurs étaient divers. Sans surprise, on y retrouve Paris, illustrée notamment par En s’agenouillant de Marie Billetdoux, et plus au Sud, la Côte d’Azur, dépeinte dans Ma chère Lise de Vincent Almendros. La côte Ouest américaine n’est pas en reste à l’instar du roman Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin qui fait la part belle à Los Angeles. L’Europe de l’Est est également très bien représentée à travers les œuvres Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, qui évoque le lac Baïkal ou encore Limonov d’Emmanuel Carrère, couronné du prestigieux prix Renaudot, dont l’histoire se déroule en Russie.
En revanche : rien sur Vancouver. Aucun auteur n’a choisi Vancouver comme cadre géographique de son récit.
Une ville encore méconnue ?
Bien que Vancouver soit perçue depuis la France comme l’une des très belles villes du monde, les romanciers français traitent davantage de la partie francophone du Canada, et notamment de Montréal. Martin Winckler, qui s’y est installé en 2009 et en a fait le cadre de son dernier roman policier Les Invisibles, qualifie Montréal de « fascinante ». La maison d’édition Gallimard y a consacré un recueil de textes en 2008, dans lequel Stefan Zweig et Dany Laferrière notamment, louent sa beauté et son dynamisme. Généralement, c’est la convivialité de la ville qui est accentuée, en comparaison avec ses températures glaciales.
La côte pacifique du Canada, en revanche, se fait rare dans la littérature française.
Entre apaisement et danger
Ces dernières années, seuls deux romans évoquent Vancouver : Tom est mort de Marie Darrieussecq et Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille, respectivement publiés en 2007 et 2010. Il est frappant de constater à quel point les deux romancières dépeignent, à partir du même espace, deux atmosphères dissidentes.
Le roman de Marie Darrieussecq se présente comme un cahier où une femme française, la quarantaine, habitant l’Australie, raconte, dix ans après les faits, la mort de Tom, son enfant cadet. Le roman fonctionne essentiellement grâce à l’opposition constante entre le souvenir heureux de Tom et le calvaire de son absence : « J’aime Vancouver. C’est la ville des vivants. Quand on meurt, on laisse à Vancouver quelque chose de soi, qui scintille dans les buildings, dans la mer, dans les forêts. Et on part en Australie. Les morts vont en Australie. » Chez Marie Darrieussecq, Vancouver apparaît comme l’espace d’une nature luxuriante, éclatante, comme un espace urbain où les éléments s’inscrivent en harmonie. L’air y est toujours d’une pureté impeccable. Sydney, au contraire, ne laisse respirer que les cendres des feux de forêts alentours et surtout les cendres de Tom, le disparu.
Chez Elise Fontenaille, au contraire, c’est précisément à Vancouver que les disparitions ont lieu. En ayant choisi de publier son polar en février 2010, la romancière a tenté de « rééquilibrer » l’image de la ville, immaculée pour son accueil des Jeux Olympiques. L’affaire des disparues du Downtown Eastside, qui aurait pu gâcher la fête, était systématiquement tue. L’évaporation dans l’indifférence générale de ces 69 femmes, souvent prostituées, ravagées par la drogue, que Fontenaille qualifie de « corps vaincus » constituait un fait méconnu en France. Le roman suit la trajectoire de Sarah, jeune femme indienne qui disparaît brutalement au cœur du Downtown Eastside, et dont l’amant, Wayne, part à sa recherche. En dépeignant une anti-image, une Vancouver dangereuse, étouffante, presque carnivore, c’est l’hypocrisie d’autorités laxistes et éludant les réalités qui est dévoilée, un procédé qui transforme le livre en geste politique.
À travers les romans de Darrieussecq et Fontenaille, la littérature française contemporaine paraît tiraillée entre deux représentations antagonistes. Ne reste qu’à espérer que Vancouver pique la curiosité des auteurs français qui en offriront d’autres portraits. En 2012 ?