Le père Noël n’est peut être pas une ordure, mais voilà plusieurs années que la petite Sarah le soupçonne d’imposture.
Ses doutes commencèrent dès son plus jeune âge. Petite fille de quatre ans, les yeux pétillants dans la lumière de l’âtre, elle se souvient de sa mère accrochant méticuleusement sur le rebord de la cheminée de longues chaussettes aux couleurs festives, une pour chaque membre de la famille. Cette année là, Sarah avait été particulièrement sage et avait osé envoyer une lettre au Pôle Nord, demandant son cadeau rêvé, un vrai poney. Cependant, lorsqu’elle fit remarquer à sa maman que la botte de laine ne pourrait jamais contenir ce qu’elle désirait le plus, sa mère l’avait regardé avec un regard mélangeant anxiété et regret.
Qu’elle ne fut la déception de l’enfant lorsque le soir du réveillon, elle découvrit un cheval en plastique dans sa pièce tricotée… Son père avait bien essayé de lui expliquer que le père Noël avait eu besoin de son poney fringant pour remplacer le renne Rudolph qui, une fois n’est pas coutume, avait le nez plus rouge que d’habitude en raison du vin rouge confectionné par mère Noël … mais quand même !
Au fil des ans, Sarah réalisa que le dépit qu’elle avait éprouvé cette soirée de son enfance n’était pas entièrement la faute du monsieur joufflu et jovial à la barbe blanche. Néanmoins, aujourd’hui elle ne peut s’empêcher de questionner son authenticité et les valeurs que Noël se targue de promouvoir chaque douzième mois de l’année…
Des valeurs familiales, d’entraide et de chaleur humaine que la jeune femme a du mal à retrouver lorsqu’elle arpente les rues et observe dès le 1er novembre, les devantures des magasins se décorer de guirlandes, de fausse neige et de grands signes flagornant promotions sur jouets, vêtements et chapons bien dodus. Un assaut visuel auquel ne tarde pas à s’ajouter une pression sonore quelques jours plus tard quand les chants festifs commencent leurs circuits en boucle et vous cernent où que vous alliez. Plus besoin de calendriers de l’Avent, le décompte jusqu’au 25 a débuté depuis belle lurette et vous ne risquez pas d’oublier que chaque heure vous rapproche un peu plus du jour tant attendu…
L’anticipation s’allie au stress afin de réussir le Noël parfait et dans les grandes surfaces, c’est la folie. Les foules se mêlent avec des sourires à la fois béats et crispés, des bébés pleurent à chaudes larmes pour leur premier cliché réalisé sur les genoux de suspicieux cousins du bonhomme à l’habit rouge et aux bottes noires. Auraient-ils confondu avec le père Fouettard ?
Rayon chocolats, c’est la gloutonnerie pour pallier à nos nerfs à vifs, mais arrivé en janvier, bonjour les régimes !
Sur l’envers du décor, les elfes s’activent sur l’aspect commercial des fêtes, depuis des mois déjà ! Car soyons honnête, dans les ateliers du père Noël, tout est une affaire de “business”.
Parmi eux, Laurence Gatinel, propriétaire de Grenadine and Co, magasin de bonbons et autres gourmandises sur West Broadway, confirme que déjà en mai, elle ne pouvait plus trouver d’emballages roses pour ses sucreries. « Le fabricant n’en refera pas, il est déjà passé en production pour ses sachets de Noël », lui expliquait son fournisseur.
De même, les lutins de certains départements peuvent se montrer parfois très exigeants comme en témoigne Laurence : « Nos fournisseurs nous obligent à passer nos commandes de Noël durant l’été. C’est d’autant plus vrai pour les produits importés. Cette année, j’ai du passer 90% de mes commandes avant le 31 juillet. Tu n’es pas forcément dans les meilleures dispositions pour penser à Noël en plein été, surtout si tu es en tongs et maillot de bain ! »
Enfin, tout cela n’empêchera pas Sarah de laisser un cookie et un verre de lait près de son sapin cette année encore. Après tout, si le père Noël se trompe à nouveau, pas d’inquiétude, elle ira le lendemain faire boxing day* pour dénicher les nouvelles bonnes affaires et remplacer les cadeaux qui ne lui conviennent pas. Qui a dit que c’était le geste qui comptait ?
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*Boxing day : jour du 26 décembre dans de nombreux pays anglophones, où la tradition veut que l’on distribue des cadeaux aux plus pauvres. Aujourd’hui, il s’agit surtout d’une fête commerciale où les magasins font des soldes.