Petit bonhomme… tu dors si paisiblement… tu portes tes plus beaux vêtements pour cette arrivée en Europe où tu allais trouver beaucoup beaucoup de jouets… et ces beaux petits souliers qui t’auraient permis de gambader sur ce sol européen qui allait t’accueillir et te permettre de te sentir en sécurité, loin de la guerre, des bombes et des destructions qui ravagent ton pays qui n’a pu t’offrir que massacres, ruines et explosions depuis que tu es né… tes bras au long de ton petit corps… et ta jolie petite frimousse tournée vers nous… mais tes beaux yeux bruns sont fermés… et ton précieux coeur a cessé de battre… Aurions-nous le courage de soutenir ton regard si tu pouvais nous voir… nous qui n’avons à t’offrir que notre écrasante honte…
Nous nous faisons appeler humains, nous habitons l’un des pays les plus développés du monde, nous avons le luxe de vivre en démocratie et nous en sommes blasés au point d’avoir la flemme d’aller voter une fois tous les quatre ans et laissons ainsi le gouvernail dans des mains qui n’ont que faire de ta si précieuse vie… Nous leur laissons le soin de définir la justice de notre système électoral pour le rendre plus injuste qu’il ne l’est déjà; nous ne nous soucions pas de ce que notre gouvernement s’enorgueillit de n’avoir pas dépensé 100 millions de dollars destinés à accueillir des réfugiés fuyant leurs pays pour sauver leur peau…
C’est avec cet espoir, celui de vous permettre à toi et à ton frère de « vivre » que tes parents vous ont embarqués sur ce rafiot pour tenter de vous donner la possibilité de ne pas mourir sous les bombes que nos gouvernements de pays développés, entre autres belligérants, font pleuvoir sur ton pays avec l’excuse de combattre l’état des ténèbres qui a envahi ton pays, sans se donner la peine de sauver vos précieuses vies…
Petit bonhomme… tu es parti et tu n’entendras pas nos ministres parler sans vergogne de la générosité de notre système de protection des réfugiés. C’est vrai qu’il fut un temps le meilleur au monde, mais il ne l’est plus depuis des années.
Ta mère et ton frère sont partis avec toi, et ton père, dégoûté de l’inhumanité de tous ces pays qui se disent civilisés, est retourné chez lui, il vous a ramenés chez vous, pour vous rendre à la terre qui vous a vus naître. Tu portes bien ton nom… tu portes sur tes épaules fragiles le nom de ce pays qu’on vous refuse depuis si longtemps.
Ces pays soi-disant civilisés n’hésitent pas à te faire payer à toi et à tous les enfants de ce coin du monde le prix de leur dédain pour ce berceau de la civilisation, martyrisé à cause d’erreurs flagrantes et impardonnables, dont les leurs. Et ils trouvent le moyen d’opter pour vous bombarder au lieu de vous protéger, en disant que cela fait partie de la solution !
Le Canada ne peut plus prétendre qu’il a fait ce qu’il a pu pour te permettre à toi et à ton frère de vivre et de grandir en paix et à tes parents d’avoir enfin une bonne nuit de sommeil sans craindre pour vos précieuses vies.
C’est une perte irréparable pour le monde entier comme toute mort qui aurait pu être évitée, et particulièrement pour ta tante qui a si désespérément tenté de vous sauver en vous accueillant au Canada. Mais c’est aussi une perte pour le Canada. Il aurait pu te prendre sous sa protection. Tu serais allé à l’école ici, et qui sait, tu serais un jour la fierté du Canada, comme tant d’enfants de réfugiés qui grandissent dans ce pays et contribuent à l’épanouissement de la mosaïque de cultures qu’il prétendait être… Est-ce que quelqu’un s’en souvient ?
Mariam Moussavian est une citoyenne canadienne d’origine iranienne installée à Vancouver depuis 1996 et une ancienne collaboratrice de La Source.