Totnes, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a la réputation d’être la capitale anglaise du mouvement New Age. Cette ville de 8 000 habitants, située entre de verdoyantes collines du Devon, est souvent l’objet de moqueries. Selon ses détracteurs, les habitants de Totnes sont des vieux hippies coincés dans les années soixante-dix, des vétérans de la route de Katmandou qui passent leur temps à tricoter des chaussettes de laine en fumant des joints. Mais la ville a aussi ses admirateurs, pour qui c’est la communauté modèle d’un avenir post-pétrolier écolo-coopératif. Intrigué, j’ai décidé d’aller y passer trois jours.
C’est une jolie petite ville bâtie sur le flanc d’une colline au sommet de laquelle trônent les ruines d’un château fort du Moyen Âge. La rue principale, bordée de bâtiments des seizième et dix-septième siècles, a effectivement quelque chose d’assez unique. Il n’y a pratiquement que des commerces indépendants, alors que dans toutes les rues du pays, les chaînes sont prédominantes. Ici, pas de Starbucks, Costa, ou chaînes de marchants de burgers. Des grandes chaînes ont bien songé à s’y établir mais le pourcentage de résidents qui promettaient de les boycotter était tel, qu’elles ont finalement renoncé.
Totnes, tel le village d’Astérix, tient tête à toutes ces invasions commerciales barbares. Les épiceries affichent des produits bio et soulignent qu’elles vendent, en priorité, des produits locaux. Les cafés et salons de thé / pâtisseries à l’ancienne sont nombreux et vous servent dans des tasses classiques qui sont le plus souvent (j’ai vérifié) « Made in England » et non pas « Made in China ». Les artisans sont nombreux et fabriquent sur place des poteries, des chaussures, des vêtements, des meubles, ou des instruments de musique. Mais il ne s’agit pas d’un village musée qui ne vit que pour les touristes. Ces commerces vivent principalement en servant la clientèle locale.
Alors que je fouinais dans une librairie, j’ai mentionné au propriétaire que c’était chouette de voir survivre des marchands de livres indépendants. Je m’attendais à des jérémiades sur la concurrence d’Amazon et des grandes chaînes multinationales. Mais il a semblé trouver ma question un peu surprenante et s’est contenté de répondre : « Ça marche plutôt bien, on n’a pas à se plaindre ». Les sites d’informations locaux témoignent d’une vie artistique très riche pour une communauté de cette taille. Clubs de cinémas, pièces de théâtre, expositions de peintures, concerts, ainsi que de nombreux cours offerts dans tous les domaines artistiques.
Il n’est pas étonnant que Rob Hopkins ait choisi de s’établir à Totnes. Ce prof de permaculture est connu pour avoir lancé le mouvement des villes en transition qui vise à mettre en place des actions pratiques à même d’établir une société post-pétrolière, meilleure et durable. En arrivant à Totnes, il a découvert une communauté où l’économie sociale et solidaire était déjà solidement implantée. Comme il l’a expliqué au journal Reporterre: « L’intérêt de faire local, c’est que les gens se sentent impliqués dans une dynamique. Cela crée un sentiment d’appartenance, d’identité, qui a été perdu avec la mondialisation. »
À Totnes, les jardins communautaires, la monnaie locale complémentaire (acceptée dans 80 commerces), les marchés publics de produits locaux et biens d’autres initiatives propres au mouvement des villes en transition, sont bien établis. Dans la rue principale ou sur la place du marché, on voit souvent des gens s’arrêter pour discuter avec des amis. Ce n’est pas surprenant car beaucoup des citoyens sont impliqués dans des comités de quartier établis pour mettre en place des projets communautaires. Donc, à moins d’être foncièrement antisocial, il est difficile de mettre le nez dehors sans rencontrer des gens que l’on connaît.
C’est donc avec regret que j’ai quitté Totnes. Et puis, les quelques vieux hippies que j’ai croisés dans la rue, vêtus des habits de ma jeunesse, m’ont semblé plutôt sympathiques.