Nous vivons des temps indécis, imprécis; une époque d’épopées dont on ne connaît pas encore la portée. Nous avançons à tâtons sans savoir si nous allons dans la bonne direction.
Nous marchons à l’aveuglette. Nous reculons, puis progressons, un tant soit peu tatillons. Nous hésitons. Nous faisons du surplace. Nous sommes perdus. Notre GPS métabolique ne fonctionne plus. Nous sommes, autant l’admettre, déboussolés.
Le Sud perd le Nord. Nous voilà désorientés. L’Orient n’a plus les moyens. Nous partons à la dérive en essayant d’atteindre l’autre rive. Qu’est-ce qui nous arrive ? L’Occident s’oxyde. La gauche se cherche. La droite cartonne. La gauche encaisse. Le centre se déconcentre et, dans l’ensemble, le peuple, lentement mais sûrement, sombre dans l’indifférence. De toute évidence ça ne tourne pas rond. Tout fout le camp. Notre univers s’effondre. Oh ! la, la, je me sens mal. La déprime me guette. Je broie du noir. Je dois me sortir de ce trou. C’est fait. La science vient de voler à mon secours.
La découverte, par quelques astucieuses équipes de savants, de l’existence d’ondes gravitationnelles, créées il y a des milliards d’années lumière par la collision de deux trous noirs, vient de me sauver la mise.
Remercions le ciel : le septième, celui qui reste encore à découvrir et dont on n’a pas encore certifié l’existence, d’où l’étiquette d’appellation non-contrôlée. Avec cette nouvelle trouvaille, mon monde, de même que le vôtre, prend une tout autre ampleur. Un pas énorme, à la découverte de nos origines, vient d’être fait. Nous allons enfin savoir d’où nous venons et surtout comment tout a commencé. Petit à petit nous nous approchons de la vérité. Elle est maintenant, et bien que ce ne soit pas encore demain la veille, à la portée de la main. Vous rendez-vous compte de la gravité de la situation ? Nombreux sont ceux qui aimeraient entretenir le mensonge. Il y va de leur gagne-pain et de leur influence. Ils peuvent dorénavant compter les jours qui leur restent ou, plutôt, car tout est relatif, les années lumière, avant que l’on découvre le pot aux roses.
Mais avant de remplir totalement l’espace qui me revient dans cette rubrique à la colonne peu vertébrale, une mise au point, afin d’éviter toute ambiguïté, s’avère nécessaire : la science et moi ne sommes pas compatibles. Nous ne faisons pas bon ménage. Ça ne gaze pas entre nous. Nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre. Mes notes obtenues à l’école en témoignent. Je suis à la science ce que le jazz de schiste est à la java niaise.
Mon ignorance en matière scientifique est abyssale. J’éprouve donc une grande considération et une profonde admiration envers ceux qui s’y donnent corps et âme. Ainsi lorsque je m’exprime sur les ondes gravitationnelles j’en parle, comprenez-le bien, en non-connaissance de cause.
Depuis leur découverte, ces ondes qui ne sont pas rondes inondent mon petit monde. Elles m’émerveillent. Elles me laissent rêveur. Je me vois surfer sur elles comme sur des vagues. Sur leur docile dos je remonte le temps à une vitesse vertigineuse. Je salue Albert Einstein qui, au passage, me lance un clin d’œil tout en faisant un pied de nez. Le petit malin, il avait déjà tout compris il y a un siècle de cela. Un peu plus loin, j’aperçois Isaac Newton, perché sur un arbre où vit un corbeau près de la fontaine. Il fait semblant de m’ignorer avant de tomber dans les pommes. D’autres années défilent à rebours. Soudain apparaît Galilée qui me guette de sa lorgnette. Il me prend pour un jésuite. Il me laisse passer lorsque je lui confirme que la terre est ronde. Arrivé vers l’an 33 de notre ère, je m’arrête un instant pour aller casser la croûte avec un « messieu » en compagnie de ses apôtres. C’est mon dernier repas. On se quitte en se faisant un signe de la main, celui de la croix n’ayant pas encore été inventé.
Je reprends la route sur mon onde gravitationnelle. Ça va de plus en plus vite. En l’an 5776 du calendrier hébraïque je tombe sur un vieillard à la barbe blanche en train de faire une sieste bien méritée après avoir travaillé durement pendant six jours de suite. Tout proche, un jeune couple, vêtu en costume d’Adam et d’Ève, est en pleurs. On vient de les évincer de leur propriété et ils ont, de plus, été condamnés, eux et leur postérité, aux travaux forcés pour l’éternité. Pas de quoi se réjouir par les temps qui courent.
Je décide de ne pas m’attarder sur leur déconvenue. J’ai d’autres siècles et des milliards d’années lumière à fouetter avant d’arriver à la ligne de départ.
(long silence)
– Et puis ?
– Et puis !!! Autant faire durer le suspense. Je vous laisse sur votre fin.
La suite au dernier numéro.