Elle est belle, la langue française. Vous ne trouvez pas ? Elle possède un charme enviable. Elle est séduisante. Les étrangers la trouvent ravissante, bien que compliquée.
Elle attise les sens. Elle vous fait de l’œil dans l’espoir de vous racoler. Elle susurre des mots doux. Elle vous désarçonne avec ses irréglarités. Elle est difficile à saisir, régulièrement mystérieuse. Elle intrigue. Elle rouspète. Mais la voilà heureuse et flamboyante, désireuse de vous en mettre plein la vue. Elle étincelle pour mieux vous surprendre. Elle étonne et parfois détonne. Elle est difficile à saisir et souvent s’entête pour aucune raison apparente. Puis, par quelques pirouettes étonnantes dont elle seule a le secret, retombe sur ses pieds après avoir accompli le grand écart qui la sépare des autres. Elle se distingue par ses prouesses en accord avec les temps; ceux qui courent et non ceux qu’on conjugue. On la craint. Certains, affolés par sa complexité, l’évitent. D’autres, séduits, lévitent en l’entendant. Les membres de l’Académie française, ces gardiens protecteurs de la langue, ces chevaliers pourfendeurs du laxisme linguistique, la vénèrent et la protègent, corps et âme, envers et contre tous.
Cette langue, si belle, serait menacée, assiégée, en péril si l’on se fie au débat qui se tient autour d’elle. Je ne vous apprends rien. Afin de faciliter l’enseignement du français, il y a quelques années de cela, en 1990 pour être précis, le Conseil supérieur de la langue française avait présenté un rapport, dont les principes furent approuvés à l’époque par l’Académie française, stipulant le besoin d’apporter quelques réformes ou modifications à la langue de Molière et de Michel Tremblay, en simplifiant l’orthographe. En février dernier, donc il y a un peu plus d’un mois de cela, les académiciens, ces « immortels » dont le temps presse et ne se compte pas, se sont rebellés pour dire non au projet de simplification de l’orthographe du français. Pourquoi simplifier cette langue dont on a eu un malin plaisir, au fil des siècles, à la rendre difficile et compliquée ? Ce qui, les puristes sadiques le reconnaîtront, ne manque pas d’attraits.
N’ayant pas la langue dans ma poche, je me suis penché sur le sujet avec, je l’admets, beaucoup de retard. J’ai eu plus d’un mois pour y réfléchir. Les primaires américaines m’ayant grandement accaparé jusqu’à présent. Je ne peux, dès lors, passer plus longtemps sous silence l’enjeu qui se joue autour d’une langue que je chéris tant mais, qu’inconsciemment, je massacre continuellement, non par plaisir mais par pure paresse et infinie ignorance.
De quoi parle-t-on exactement ? De quelles simplifications est-il question ? Sans entrer dans le détail, disons que plusieurs modifications,intentées par les réformistes (qui ne viennent pas d’Alberta),attirent particulièrement mon attention.
Le trait d’union pour commencer. Il divise. Faut-il (tiens, le voilà) s’en débarrasser ou non ? Moi, je dis non. Non, non, non, non car tout ça ne vaut pas un clair de lune à Maubeuge ou à Surrey. Prenons l’exemple de « train-train », un mot qui, sans son trait d’union, risque de dérailler. Ou encore, pensez à « après-midi », enlevez-le, il est capable de vous gâcher la journée et, en se faisant passer pour un faune, il peut provoquer des insomnies. Donc unissons-nous contre la disparition du trait-d’union (comme vous voyez, j’y tiens tellement que j’en rajoute).
Et l’accent circonflexe ? Pour ou contre sa suppression ? Là encore je m’aligne avec les « immortels ». Pourquoi priver des voyelles, à la recherche d’une certaine sécurité, d’un abri naturel si évident ? C’est un accent protecteur. Dans forêt il a remplacé, en cas de pluie ou de foudre, le S qui ne servait à rien avec son insignifiante contorsion serpentine. Dans hôte, il fait preuve d’une belle éloquence et justifie pleinement sa présence. Il y trouve sa raison d’être. On peut vivre sans encombre sous son toit. Donc, à celles et ceux qui se battent pour conserver l’accent circonflexe, je vous tire mon chapeau.
Ce n’est pas tout. Parmi les réformes de l’orthographe, il est question de remplacer les PH par des F. Nénuphar devient nénufar et éléphant deviendrait, si l’on pousse la réflexion jusqu’au bout, éléfant. Ne vous y trompez pas, c’est fysique dirait Einstein, ainsi écrit, le pachyderme ne fait plus le poids et perd de sa mesure. Tant qu’à y être, supprimons, une bonne fois pour toute l’ortograf. À bien y penser cette épellation manque de caractère. À vouloir trop simplifier on finit par castrer, nous prévient le castor.
Et que dire de la cédille, cet appendice en forme de tire-bouchon ou de queue de cochon qui s’accroche au C comme le ferait un clown suspendu à un croissant de lune ? Sans elle, les Ç deviendront SS, uniforme à saucisson. À éviter de toute façon quoique nous fassions.
Vraiment où s’en va-t-on ? Soyons sérieux, gardons le statu quo, vadis.