Nous savons tous que le premier palier de la xénophobie vient avec l’apparence, lorsque l’on peut voir au premier coup d’œil la différence de l’autre. Si nous sommes issus du même berceau de civilisation, le contraste ne se remarque pas au niveau physique, mais lors de la prise de parole, au moment où l’accent se fait entendre.
En principe, l’on devrait s’émerveiller du bagage culturel qu’autrui apporte avec lui, on devrait le féliciter pour les efforts qu’il a faits d’apprendre à parler une nouvelle langue, pour le courage qu’il a eu de voyager et de se présenter, avec fébrilité et rien d’autre que sa détermination en poche, aux portes d’un nouveau pays. Malheureusement, bien souvent, rien de tout ça n’arrive. On a peur de l’étranger, on marque aussitôt une nette distance d’avec lui.
Récemment, un professeur d’université a créé un terme pour nommer ce phénomène : la glottophobie. Je me rappelle avoir pensé que c’était une invention brillante. Je me suis même demandé pourquoi personne d’autre n’avait eu cette idée avant ? Moi-même française, parlant la langue de Shakespeare avec un accent si épais que bien souvent personne ne voit à travers, je me suis sentie complexée lors de séjours aux États-Unis. Là-bas, je comprenais clairement que, dès les trois premières secondes, mon accent français dissuadait certains de mes interlocuteurs américains d’essayer de comprendre ce que j’avais à dire. Ils ne m’écoutaient déjà plus. Tout ce qui faisait ma personne, mon éducation, mes réussites universitaires, ma culture, rien de tout ça n’était plus valable dès lors qu’en ce court laps de temps, j’avais été jugée et reléguée dans une catégorie où personne n’aurait envie d’être placé.
Quand j’ai mis les pieds dans la flamboyante ville de Vancouver, je me souviens avoir été frappée et touchée par cette gentillesse et cette ouverture d’esprit des locaux. Ces grands concepts de tolérance sont tellement galvaudés qu’ils ne signifient plus grand-chose, me dira-t-on. Je mets au défi tous ceux qui voudraient me faire cette objection de visiter Vancouver et de venir en reparler avec moi ensuite.
Visiblement, la glottophobie n’existe pas à Vancouver. Votre différence est accueillie avec le sourire. Elle est célébrée. On vous enjoint à rester tel que vous êtes, à venir apporter la touche de couleur qui vous est propre sur le grand tableau de la ville. Vancouver m’a invitée à embrasser sa culture vibrante. Ce faisant, elle a respecté mon identité et m’a fait prendre conscience de l’importance de mes racines. En bon professeur, elle m’a accompagnée dans mes premiers tâtonnements et a attendu patiemment que je prenne mes marques et m’adapte au mode de vie canadien sans pour autant renier ce que je suis.
La société vous presse constamment de faire un choix, de rester ici ou là, de revendiquer vos racines de naissance ou vos racines de cœur, vous enjoignant à choisir les unes au détriment des autres. Vous vous retrouvez vite bloqué entre deux chaises et ne savez plus où vous asseoir. Toute la sagesse de Vancouver est de vous montrer qu’il existe une troisième solution : vous allonger au milieu de ces deux chaises et être simplement heureux.
Vancouver a transcendé la punition de la tour de Babel, elle a réussi à faire de nos différences un atout. Elle est forte et multiculturelle. Elle le sait et, avec orgueil, elle s’en vante. Elle est bien avisée, car elle réussit là où le reste du monde échoue. Pour cette raison et pour tant d’autres, il fait assurément bon vivre à Vancouver, et il n’y a aucun besoin d’y être né pour être irrémédiablement honoré d’en être un citoyen.