Je reviens de France, de Lyon plus exactement. Je reviens donc de loin (18 heures de voyage). Et je n’en reviens pas de la dissension qui divise le pays. Au cours de ma visite, qui a duré une quinzaine de jours, j’ai pu mesurer le gouffre qui sépare le Canada où le castor règne en maitre, du pays de Vercingétorix où les gauloiseries sont toujours de cours. Au royaume d’Astérix rien ne va plus. Le peuple ne sait plus où donner de la tête qu’il a d’ailleurs tendance à perdre. Je suis arrivé en pleine polémique : le burkini, qui n’est pas un habitant du Burkina-Faso mais un maillot de bain porté par les femmes musulmanes religieuses lorsqu’elles désirent se baigner quand bon leur semble.
Il y a deux ans, lors d’un de mes passages à Cannes, j’avais remarqué une femme en burkini, accompagnée de ses enfants, s’en donner à cœur joie au contact des vagues qui la frappaient. C’était curieux, car rare, et j’étais content pour elle de la voir ainsi barboter dans l’eau de la Méditerranée, mer tant aimée de Tino Rossi.
Les attitudes ont depuis changé. La politique française s’est emparée du dossier. Une récupération éhontée. Le débat fait rage. Les maires, généralement de droite, dans plusieurs municipalités, ont émis des arrêtés interdisant le port du burkini dans leur localité. Il n’en fallait pas plus pour stigmatiser l’opinion publique. À la radio, à la télévision et dans les journaux, il n’était question que du burkini. Pendant mon séjour ce fut le sujet de conversation favori et passionné des repas familiaux ou de toute autre rencontre amicale au café du coin. Les tribunes téléphoniques ou débats télévisés ne dérougissaient pas. Chacun faisant valoir avec force et intransigeance son opinion sur la question. Ceux préconisant l’interdiction du burkini avançaient l’argument de la laïcité qui doit primer avant tout au sein de la patrie des Droits de l’Homme. Le burkini mettant de toute évidence la République en danger. Ils vous invitent à lire Soumission de Michel Houellebecq. Les autres, pas du tout offusqués par le port du maillot de bain islamiste, plus tolérants, n’hésitaient pas à accuser les purs et durs de l’interdiction du burkini, de jouer le jeu de l’islam radical. Et puis j’ai trouvé des je-m’en-foutistes pour qui la question, malgré la canicule, ne leur faisait ni chaud ni froid.
Le Conseil d’État français, dont le rôle est d’assurer le bien-fondé constitutionnel de tout décret ou projet de loi, a rejeté l’interdiction du burkini.
Toute cette affaire, pour moi, observateur de passage, m’a ouvert les yeux sur l’état d’esprit qui règne à l’intérieur d’une certaine couche de la société française. Loin de moi l’idée de généraliser ce que j’ai ressenti. Rien de scientifique non plus dans ma démarche. Mon évaluation, je l’admets peut manquer d’objectivité. Je tiens simplement, bien que l’on ne m’ait pas demandé mon avis, à dire ce que j’en pense. J’accepte volontiers toute critique de ma vision des choses qui n’est que le fruit de mes propres observations et de mes rencontres durant mon bref séjour.
Il ne faut pas oublier, tout d’abord, que la classe politique française est en pleine campagne électorale : les primaires, puis les présidentielles. Le burkini représente une aubaine, une manne pour certains candidats à la recherche de thème de campagne. Au Canada nous ne sommes pas épargnés par cette forme d’opportunisme. Rien à redire sur cela si ce n’est de regretter son existence.
Ce qui m’a surtout frappé c’est le climat d’insécurité dans lequel vivent les Français. On peut les comprendre : la multitude d’attentats et de morts causés par les actes terroristes, ces derniers temps, ont engendré une palpable tension accompagnée d’une forte angoisse difficilement imaginable au Canada. Certes nous avons nous aussi été victimes d’actes de terreur mais ils n’ont rien à voir avec ceux perpétrés en France.
Les Français, quelles que soient leurs origines ou leur appartenance religieuse, se sentent menacés, assiégés, piégés si j’en crois mes interlocuteurs. Ils ont de la difficulté à vivre ensemble. Peu enclins, contrairement aux Canadiens, au compromis, ils deviennent tranchants, virulents, sûr d’eux-mêmes et souvent désobligeants dès qu’il est question de discuter de politique interne. Les politiciens ? Tous des ordures. Les socialistes ? Un échec. Les arrangements raisonnables ? Très peu pour eux. Les Français ne cherchent pas à être raisonnables. Avant tout ils cherchent à avoir raison. Un trait de caractère qui n’arrange pas les choses et qui ne joue pas en leur faveur.
Malgré leurs problèmes et leurs difficultés, ils continuent de vivre leur train-train quotidien. Les cafés et les restaurants étaient, jusqu’à la fin août encore, remplis à capacité. Comme de coutume, la bière, le pastis et le rosé coulaient à flots. Les jeux de boule et de pétanque se poursuivaient comme si de rien n’était. Les bikinis, sur les plages étaient toujours de mode en attendant l’arrivée des nouveaux burkinis. Comme quoi les apparences sont souvent trompeuses.