C’est Félix Leclerc qui chantait, « Pour bâtir une maison, il te faut des deux par quatre… mais tout d’abord un terrain ». Le poète qu’il était ne pouvait entrevoir la crise immobilière ni anticiper l’explosion du prix des terrains que l’on connaît aujourd’hui. Quand il a écrit cette chanson, la construction d’une maison était encore un projet de vie. L’industrie du bois était et est encore un des moteurs économiques du pays. Ainsi, comme le veut le dicton populaire, « Quand le bâtiment va, tout va ». On mesure donc la croissance économique du pays ou d’une province par le nombre de mises en chantier d’unités de logement. En principe, le marché immobilier
est aussi une mesure de santé économique, même si aujourd’hui l’image renvoyée par ce principe est distorsionnée. En fait c’était une extension saine et logique. En effet, quand une famille investissait dans le bâtiment, c’est qu’elle avait confiance en son avenir économique. Mais, comme on le sait, aujourd’hui cette image est pervertie.
Cette approche n’a quasiment plus rien à voir avec cette réalité d’une autre époque dans la grande région de Vancouver. Le rêve de la propriété privée, pour ceux qui voulaient s’en donner les moyens, était jadis réaliste et réalisable. Il l’est encore tout juste dans les banlieues éloignées ou en province. On est surtout loin de l’époque où la valeur d’une belle maison se jugeait à la qualité de ses matériaux, du travail bien fait par les artisans de métier et de la patine qui, avec l’âge, ajoutait une couche
« émotive » à l’élément matériel de l’ensemble.
Aujourd’hui il n’est pas rare de voir des maisons qui avaient été construites avec des matériaux de très grande qualité être carrément jetées aux ordures. Certaines d’entre elles qui sont à peine âgées de 10 ans tombent sous les coups des marteaux des démolisseurs. La maison d’aujourd’hui n’est plus le lieu où l’on voit la famille grandir, mais un produit financier qui sert à vous faire grimper l’échelle de l’immobilier.
La maison patrimoniale de ma conjointe, située dans une petite communauté en Autriche, a été construite il y a plus de 360 ans et est dans sa famille depuis six générations. Au rez-de-chaussée, il y avait un magasin d’alimentation générale, l’équivalent de nos épiceries de village, fermé depuis une quarantaine d’années. Or il est clair dans les testaments de ses parents que la maison qui leur est léguée ne peut être vendue et qu’elle doit rester dans la famille. C’est en fait une dernière volonté qu’il est quasi impossible de légalement faire respecter, mais qui en dit long sur l’esprit qui l’anime et sur l’attachement au patrimoine familial ! Il s’agit bien sûr d’une anecdote qui a peu à voir avec la réalité urbaine dans laquelle la majorité des Canadiens vivent maintenant. Mais c’est une image forte de l’évolution de notre rapport avec la propriété. Aujourd’hui nous sommes loin de l’époque où la maison familiale était convoitée par les héritiers. En fait, on consomme maintenant nos habitations comme on consommait nos voitures à l’époque où il fallait la voiture de l’année. Il faut se dépêcher d’entrer dans le marché immobilier pour ensuite pouvoir en gravir les échelons. La maison, puisque c’est comme çà qu’on identifie notre domicile, soit-il maison, condo ou duplex, est un moyen d’accéder à l’étape suivante de notre stratégie d’investissements. On est bien loin de cette philosophie de vie aujourd’hui que le logement familial, sous quelque forme qu’il soit, est devenu pour plusieurs une commodité qui se transige beaucoup plus en fonction de sa valeur perçue selon l’humeur du jour (et du marché) qu’en fonction de sa valeur physique réelle.
Cette valeur réelle réside dans la capacité qu’elle a de fournir à la génération suivante, les moyens d’accéder elle aussi au marché immobilier. Les parents vendent la maison à prix d’or, rachètent plus petit et moins cher, refilent de quoi payer la mise de fonds à leur progéniture, qui à son tour met le pied à l’étrier. Les agents immobiliers vous diront tous en chœur que maintenant est toujours le bon moment d’acheter s’il s’agit d’un choix de vie et non d’un investissement spéculatif.
La chanson de Félix, elle se termine ainsi : « Tu n’en finiras jamais, et c’est çà qui est important ». Le vrai défi maintenant est de savoir comment et où commencer.