Il est difficile d’imaginer l’Afghanistan comme étant autre chose qu’une zone de guerre. Pourtant, dans les années soixante et soixante-dix, c’était un lieu de passage pour les milliers de jeunes routards qui voyageaient par voie terrestre de l’Europe jusqu’en Inde.
À partir d’Istanbul, il suffisait d’emprunter les autocars locaux pour aller de ville en ville et traverser ainsi la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. À l’aller, j’ai préféré contourner l’Afghanistan et traverser l’Iran pour entrer au Pakistan par le train à vapeur qui, une fois par semaine, traversait le désert du Baloutchistan, reliant Zahedan à Quetta.
Cette région, présentement infestée de talibans et autres joyeux lurons du même acabit, est inaccessible aux touristes occidentaux ordinaires. Mais, à l’époque, traverser ce désert n’avait rien d’héroïque. Même chose pour la traversée de l’Afghanistan que j’ai effectuée à mon retour de l’Inde. En une dizaine de jours, je suis passé par le Col de Khyber, Jalalabad, Kaboul, Kandahar et Herat avant de traverser la frontière iranienne. J’en garde des souvenirs de lampes à pétrole, de villages fortifiés, de véhicules délabrés, de mosquées couvertes de mosaïques bleues, de femmes voilées (encore que dans la capitale, les Afghanes habillées à l’occidentale n’étaient pas rares) et d’hôtels de « hippies » dans les jardins desquels nous fumions des « produits locaux » en écoutant Pink Floyd. Je me souviens même d’avoir discuté avec un étudiant afghan qui m’affirmait qu’une révolution imminente, d’inspiration marxiste, allait éliminer toutes les superstitions religieuses et créer une société moderne et égalitaire. Comme quoi, les prédictions sont toujours périlleuses.
En fouillant sur internet à la recherche de photographies et d’informations sur cette région du monde, j’ai découvert, à ma grande surprise, que la République islamique d’Afghanistan avait délivré vingt mille visas touristiques en 2015. Une recherche plus approfondie indique qu’il s’agit surtout de ressortissants des pays voisins qui se rendent dans les zones frontalières. Mais il y a tout de même un certain nombre d’Occidentaux qui sont prêts à prendre des risques pour aller là où les autres ne vont pas. Souvent, ils partent de l’Ouzbékistan et traversent la frontière afghane pour passer une journée à Mazar-eSharif, une des régions les moins dangereuses du pays. Pourquoi sont-ils prêts à dépenser plus de cent dollars américains, rien que pour le visa, pour effectuer une visite éclair dans ce pays meurtri ? Je soupçonne que ce n’est qu’une question d’égo. Ça leur permet d’étonner leurs amis sur Facebook et de passer pour des voyageurs intrépides et non pas de simples touristes. Un forum de voyageurs fait état de plusieurs témoignages de gens qui ont fait des (courts) séjours « hyper-sympas » dans ce pays « merveilleux » qui ne ressemble pas à ce que l’on voit dans les reportages des médias de« propagande impérialiste islamophobe ».
À Londres, des anciens soldats/mercenaires ont monté une agence de voyage spécialisée qui, moyennant beaucoup d’argent, vous organisera une petite virée dans une zone dangereuse, genre Irak, Somalie, Yémen ou Afghanistan.
Pourtant, le site du gouvernement canadien de conseils aux voyageurs fait tout pour décourager les touristes amateurs de frissons guerriers. C’est clair : « évitez tout voyage, et si vous vous trouvez déjà en Afghanistan, vous devriez partir ». Pour ceux qui pensent pouvoir y trouver un endroit tranquille, le site affirme : « aucun endroit n’est sûr en Afghanistan. » Il ajoute : « les endroits fréquentés par les étrangers sont particulièrement ciblés par les terroristes ». Les dangers ne sont pas que de nature politique ou militaire. La criminalité « ordinaire » sévit, donc vols, agressions, viols, ne sont pas rares. Les enlèvements sont la hantise des étrangers, notamment sur les routes où il y a parfois des faux points de contrôle. Ce site gouvernemental a également émis un avis à l’égard des journalistes : « on rapporte que des journalistes pourraient être attirés en Afghanistan avec des offres d’entrevues, avec pour but réel de les enlever ».
En effet, ça donne l’impression d’être « hyper-sympa ».