Quand les premiers bateaux de croisière de la saison sont arrivés à Mazatlan (côte ouest du Mexique), les journaux locaux ont fait état du sentiment de bonheur que ces escales suscitent parmi ceux qui œuvrent dans l’industrie touristique. Le calendrier des escales est publié dans la presse et les chauffeurs de taxi, ainsi que les marchands de souvenirs augmentent temporairement leurs prix afin de bénéficier pleinement de cette manne saisonnière. Cet enthousiasme est compréhensible dans un pays où beaucoup ne gagnent guère plus d’un dollar de l’heure.
L’arrivée d’un navire qui débarque des milliers de gringos bourrés de fric est un petit miracle qu’il serait absurde de dédaigner. Le fait que ces paquebots amènent aussi de la pollution n’est même pas un sujet de discussion dans les pays en développement où la population est aux prises avec d’autres priorités plus immédiates. Même dans les pays riches, comme le Canada, on a longtemps ignoré la question de la pollution liée à la présence des grands paquebots, comme s’il était mal vu de critiquer un secteur aussi économiquement important.
Pourtant, la pollution émanant de ces grands bateaux de croisière n’a rien d’un détail insignifiant. Ces véritables villes flottantes que sont les paquebots utilisent une énorme quantité de carburant très peu raffiné et donc meilleur marché. Ce fioul lourd, chargé en soufre à 35 % est jusqu’à 3 500 fois plus polluant que le carburant ordinaire utilisé par nos voitures. Même quand le navire est à quai, les immenses moteurs tournent de façon à fournir de l’électricité. En contrepartie des dollars dépensés par les passagers, les habitants de la ville portuaire où le paquebot fait escale respirent de vastes quantités d’oxyde de soufre et d’azote ainsi que les particules fines extrêmement nocives pour la santé. Les bateaux les plus modernes sont équipés de « scrubbers » qui « lavent » les épaisses fumées mais n’empêchent aucunement les émanations de particules fines. Des études effectuées dans la ville de Marseille démontrent des hausses significatives de pollution atmosphérique à chaque fois que les grands bateaux de croisière font escale. À Los Angeles, il a été démontré que le taux d’asthme et de maladies cardiovasculaires est 3 % plus élevé dans la zone portuaire que dans l’ensemble de la région. Le Canada, les États-Unis et l’Union européenne imposent aux bateaux de croisière l’obligation d’utiliser un carburant un peu plus propre lorsqu’ils naviguent dans leurs eaux territoriales. Les paquebots sont donc dotés de multiples réservoirs, ce qui leur permet d’utiliser un carburant un peu moins sale et un peu plus cher dans les pays riches tout en continuant à utiliser le fioul le moins cher et le plus polluant dans les pays pauvres.
Les compagnies maritimes, à grand renfort d’experts en relations publiques, font accroire qu’elles sont des amoureuses de la nature. Princess Cruise (une des 8 compagnies et des 78 bateaux appartenant au groupe Carnival) n’a pourtant pas convaincu un juge de Miami qui l’a condamnée à verser une amende de 40 millions de dollars pour avoir délibérément déversé des matières toxiques dans l’océan. Il faut savoir que la sentine (les eaux usées) ne peut pas être jetée telle quelle à la mer. Les bateaux disposent de systèmes d’épuration. Ce qui ne peut pas être suffisamment nettoyé est entreposé dans une cuve spéciale et déchargé au port. Bien entendu, il serait moins cher de tout jeter par-dessus bord. Aux points de sortie des tuyaux de déversement, des senseurs électroniques détectent et enregistrent le passage d’huiles ou d’autres matières toxiques qui ne peuvent pas être légalement jetées à la mer. Dans le cas qui a valu à la compagnie de verser une lourde amende, des ingénieurs avaient construit ce qu’ils appelaient un « tuyau magique ». Il s’agissait d’un système qui injectait de l’eau propre sur le mouchard électronique de façon à ce que celui-ci ne puisse plus détecter le passage des eaux usées chargées d’huile. Le juge de Miami ne s’est pas contenté d’imposer une amende. Convaincu que ce n’était pas un cas isolé, il a ordonné un programme de 5 ans de vérification régulière des 78 navires de la compagnie.
Il est intéressant de noter que plusieurs de ces navires font escale à Vancouver et à Victoria pendant l’été.