Avril, mois national de la poésie, permet de redécouvrir un genre littéraire, un art du mot, mais aussi une nouvelle façon de vivre. Bien que la poésie canadienne francophone provienne majoritairement du Québec, la Colombie-Britannique possède quelques irréductibles amoureux du beau mot français et des évènements organisés pour le prouver.
« Avril est le mois le plus cruel. » C’est ainsi que commence « La Terre Vaine » de T.S Eliot. L’Académie des Poètes américains a distribué le poème à des passants en 1996, afin d’en encourager la lecture. Le mois d’avril est, depuis, consacré à mettre en lumière le patrimoine poétique nord-américain – mais il faut cependant attendre 1998 pour voir le Mois national de la poésie arriver au Canada. Des évènements sont alors organisés partout au pays.
Mary Duffy, professeure à Little Flower Academy, est heureuse de voir deux de ses élèves participer à la finale du concours de récitation poétique Les Voix de la Poésie : « Je pense que cette initiative joue un rôle déterminant dans la sensibilisation de la poésie anglophone et francophone à travers le Canada, et certainement dans notre école, car les étudiants se donnent corps et âme dans chaque poème qu’ils récitent. »
Un des objectifs principaux du concours est de mettre fin aux préjugés liés au genre, souvent vu comme démodé et répétitif. « On grandit avec une perception de la poésie souvent fausse », raconte Catherine Cormier-Larose, coordinatrice de l’événement. « On pense que ça doit rimer et que ça doit être en rimes plates. Alors que la poésie contemporaine et même la poésie depuis toujours, ça n’a jamais été le cas. Que ça rime ? Oui, mais en rime plate, jamais. »
La poésie est un des genres littéraires les plus anciens, alors qu’a-t-il à nous apprendre au 21e siècle ? Pour Laurent Fabanni, poète aux origines italienne et belge, écrire permet de donner du sens à un monde absurde.
« On entend souvent [dire que] les jeunes ne lisent plus, ils ne sont plus intéressés, ils vivent dans un monde virtuel. Mais moi je constate qu’aujourd’hui plus que jamais, il y a un besoin chez les jeunes, je le sens au quotidien, je le vois, il y a une soif de philosophie, de beauté, de questionnement du monde. » L’utilisation de l’écriture et de la langue française est d’ailleurs particulièrement importante pour se construire une identité.
Poésie francophone, un acte identitaire
Pour Laurent Fabanni, où qu’il soit, s’il écrit, c’est en français. « En étant en Colombie-Britannique, je suis beaucoup plus sensible – évidemment – au français, parce que quand on vit en France, ou en Belgique, ou en Suisse, on ne se pose jamais la question, on le tient pour acquis : “Bah! Oui, on parle français”. Mais ici, on se sent menacé tout le temps. » De ce fait, l’écriture peut devenir un vrai refuge identitaire – particulièrement lorsqu’on est coincé entre plusieurs pays. « La poésie c’est comme un pays en soi, d’une certaine manière, c’est un territoire intérieur, une géographie intérieure. Donc je crois que pour moi la poésie est un endroit où je peux me réfugier pour vivre des choses que je ne pourrais pas vivre dans la réalité. C’est vrai qu’en tant qu’immigrant, en ayant quitté mon pays, la Belgique et l’Italie, mes pays je devrais dire, il y a une certaine nostalgie qui est là. »
Dans le cadre du concours Les Voix de la Poésie, trois sections sont organisées : une section francophone, une anglophone et une bilingue. Catherine rappelle que le concours a été fondé par Scott Griffin, dont la femme, Christine, est une Québécoise francophone. « Pour elle, cette idée que le Canada est bilingue était au cœur du concours autant que la poésie. La poésie est aussi un excellent espace de rencontre pour ça. » Un espace de rencontre, oui, mais aussi de partage.
Espace de partage
« Ce qui est important c’est de partager, je pense. C’est pour ça que pour un poète, publier c’est toujours important parce que c’est vraiment comme une naissance, car c’est par là que l’œuvre existe », raconte Laurent Fabanni, auteur de trois recueils. Pour les finalistes des Voix de la Poésie, tout se fait dans un partage oral.
Catherine Cormier-Larose est d’ailleurs fière de présenter la course poétique Amazing Race durant laquelle les finalistes amèneront la poésie dans les rues de Vancouver. « L’idée c’est que nos équipes vont être formées de deux anglophones, un francophone, un bilingue, puis ces quatre jeunes-là vont faire le tour de Vancouver, où ils vont aller réciter des poèmes aux gens – dans les musées, dans les bateaux, dans les tramways. »
Tout est donc fait pour contester cette vision du poète, penché sur sa plume, tout le temps seul et tout le temps soûl. Car le poète n’est pas une espèce totalement à part, extraordinairement autre :
il est en nous, pour peu qu’on veuille le cultiver. Laurent Fadanni fait remarquer, cependant, qu’être malheureux est un avantage conséquent. « Toute œuvre d’art plonge ses racines dans une forme de désespoir. Les gens heureux, je pense, ne font pas les meilleurs écrivains ou les meilleurs artistes. Ça c’est pas grave évidemment, tant mieux, ils sont heureux. Si je suis heureux dans ma vie, ma vie est un poème. »
Ainsi, le mois d’avril est une invitation au voyage, un rappel à l’essentiel et une ode à la création. Débranchez-vous, éteignez les écrans et lisez quelques vers – afin de faire qu’avril ne soit pas, après tout, le mois le plus cruel.
Les Voix de la Poésie – The Amazing Race aura lieu le 19 avril et la Grande Finale le Jeudi 20 avril
Laurent Fadanni – Viticulture des gouffres, publié aux Editions l’Interligne