À un moment donné durant le long vol, j’ai entrouvert les yeux et lancé un regard par le hublot de l’avion. Il y avait une étendue de terre montagneuse, verte, entourée par l’océan et l’arctique, qui semblait sauvage et pure. J’étais en route pour Vancouver, la ville où les gens se parlent dans les ascenseurs, où les pantalons de yoga sont d’usage quotidien et où vous pouvez rencontrer un ours dans la cour.
Mon immigration au Canada a eu lieu en un clin d’œil. J’étais en vacances au Vietnam lorsque j’ai rencontré un Canadien d’origine perse, et avant même de le savoir, je me suis retrouvée immigrante à Vancouver. Les premiers mois, j’ai dû faire face à un double impact culturel. Un énorme échange culturel avait lieu, et dans ma tête et avec les gens autour de moi. Surprise par les bâtiments élevés et les énormes voitures, par les belles vues sur les montagnes et la sociabilité des gens, j’ai fait mes premiers pas dans la société canadienne.
En même temps, j’étais entourée de nombreux immigrants perses qui avaient en partie gardé leurs façons de vivre tout en étant à Vancouver. Timidement, j’ai exécuté mes premiers mouvements de danse perse, mangé des kebabs, je suis devenue végétarienne et j’ai commencé le yoga. Ma culture est devenue un mélange hétéroclite de coutumes néerlandaises, persanes et canadiennes, et comme beaucoup d’autres Canadiens, j’ai commencé à m’identifier en tant que citoyenne « du monde ». Tout le monde semblait être un immigrant au Canada, et bientôt je me suis retrouvée à célébrer la nouvelle année persane, chinoise et canadienne avec mes amis du monde entier.
En termes sociologiques, ce type de société s’appelle une « mosaïque ». Une société où divers groupes, tous avec leurs propres coutumes et célébrations culturelles, vivent ensemble et forment une culture homogène. La mosaïque canadienne semble bien fonctionner, alors qu’en Europe, ce genre de société est devenu très controversé aux yeux de certaines personnes, surtout depuis la crise des réfugiés. Même aux Pays-Bas, un pays connu pour sa tolérance envers les minorités, les voix nationalistes ont repris le contrôle et endurci les attitudes envers les immigrants.
Comment le Canada peut-il réussir à intégrer ses gens de manière aussi contrôlée ? Cela peut surtout être attribué à une politique d’immigration plus stricte. Il semble que vous devez être soit riche, soit intelligent ou un réfugié pour venir au Canada sans trop de paperasserie, alors qu’aux Pays-Bas n’importe qui peut simplement entrer. Les Marocains et les Turcs ont même été encouragés dans les années 80 à venir en Hollande pour combler les emplois moins qualifiés et moins bien payés. La différence entre les immigrants canadiens et néerlandais est donc qu’au Canada ce sont des hommes d’affaires cosmopolites, des médecins et des ingénieurs de classe supérieure, tandis qu’aux Pays-Bas ce sont des gens issus des classes économiques inférieures, travaillant fort pour occuper une place dans la société.
Même si je ne suis pas partisane de politiques d’immigration strictes qui ne profitent qu’à ceux qui paient, cela contribue à créer une culture plus homogène dans laquelle tout le monde vient déjà d’un milieu plus cosmo
polite. Et parce que presque tout le monde est immigrant, les gens tolèrent les coutumes et les célébrations des autres. Au Canada, il est accepté sans protestation que les gens aient congé pendant d’importantes célébrations culturelles ou religieuses. Aux Pays-Bas, cela provoquerait aujourd’hui la controverse, car on pense que les gens devraient s’intégrer dans la culture « néerlandaise ». Si les gens n’acceptent plus les différences des autres, cela se transforme en une ségrégation dangereuse entre la population minoritaire et la population majoritaire, ce qui est certainement quelque chose que nous devrions prévenir.
Sans aucun doute, le Canada
possède aussi une histoire sociale problématique. Dans une cabine de téléphérique, à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, quelqu’un m’a déjà dit : « Le Canada est un pays sans histoire, construit à partir de zéro, d’une feuille blanche. » Une déclaration qui tout de suite m’a semblé terriblement fausse, surtout au milieu de toute la beauté naturelle dans laquelle nous nous trouvions. Cela faisait fi de l’existence des premiers habitants du Canada, comme s’ils n’avaient jamais été là. Cela m’a fait réfléchir. À quel point cette « mosaïque » est-elle inclusive quand un groupe de personnes se retrouve toujours à côté ?
Je suis honorée de pouvoir vivre au Canada et de partager les lumières de la ville de Vancouver avec tant de personnes différentes. Des milliers d’êtres humains dans la même ville, lisant un livre, s’aimant, se chicanant, riant, vivant. Tous ces appartements, les uns au-dessus des autres. Toutes ces émotions dans un immeuble. C’est fascinant. Si nous pouvions voir l’énergie, il y aurait des rayonnements colorés dansant au-dessus des bâtiments, allumant le ciel de Vancouver.
Traduction par Barry Brisebois