À Londres, comme ailleurs, les morts étaient enterrés dans les cimetières de leurs paroisses. Mais vu la croissance démographique de la capitale britannique, dès le début du dix-neuvième siècle, on a commencé à manquer de place pour loger les vivants et enterrer les morts. Impressionnés par le gigantesque nouveau cimetière parisien (le Père LaChaise), des hommes d’affaires anglais ont pensé que les morts pouvaient être payants. En quelques années, des compagnies privées ont acheté des grands terrains dans les faubourgs de Londres pour y ouvrir sept grands cimetières.
Pendant quelques années, tout a bien été. Suite à des campagnes publicitaires, il était même commun, à la fin du dix-neuvième siècle, de faire rapatrier dans les cimetières de la capitale impériale les dépouilles des administrateurs coloniaux. Les compagnies privées qui géraient ces cimetières affirmaient – parole de capitaliste ! – que les lieux de sépulture seraient préservés indéfiniment. Mais entre les deux guerres mondiales, ces compagnies ont fait faillite et ces immenses parcs remplis de magnifiques monuments funéraires furent laissé à l’abandon. La forêt a repris ses droits et les tombes ont disparu sous la végétation.
Au cimetière de Highgate, ce sont cinquante-cinq mille tombes et monuments funéraires qui risquaient de disparaître. Seule la partie du cimetière où se trouve la tombe de Karl Marx était suffisamment entretenue pour permettre l’accès des « camarades » des quatre coins du monde. Pendant que les délégations communistes venaient fleurir la tombe du grand philosophe, des capitalistes rêvaient de mettre main basse sur ces terrains. En 1975, une société à but non lucratif fut créée pour sauver Highgate. C’est un plaisir de payer 4£ pour visiter ce cimetière, sachant que cela permet de sauver un joyau historique et écologique. Dans cette grande forêt urbaine, paradis des renards, des écureuils et des chats errants, on découvre, au détour des sentiers, des tombes et des statues d’inventeurs, d’écrivains, de musiciens, d’acteurs, de politiciens et d’autres artisans de l’Angleterre victorienne et édouardienne. Des Londoniens deviennent membres de la société des amis de Highgate pour se doter d’une carte d’accès annuelle et faire le tour de l’immense cimetière, leur jardin secret. Les visiteurs ne sont pas très nombreux, ce qui fait que Highgate est un îlot de calme au cœur de la grande ville.
Depuis une vingtaine d’années, les autorités municipales et le gouvernement britannique ont pris conscience de l’importance patrimoniale de ces vieux cimetières de l’ère victorienne. Si, lors d’une visite à Londres, vous n’avez le temps de n’en voir qu’un seul, je vous recommanderais celui de Brompton, dans l’arrondissement de Kensington et Chelsea. Il est situé à cinq minutes du métro Earl’s Court, un lieu très fréquenté par les touristes étrangers. Pourtant, cet immense parc et ses trente-cinq mille monuments funéraires est peu connu des touristes. Parmi la dense végétation, vous trouverez la tombe de Samuel Cunard, fondateur de la grande compagnie maritime. Sir William Cairns, qui a laissé son nom à une ville australienne et Charles Fremantle, qui a laissé son nom à une autre. On y trouve aussi Robert Fortune, qui a introduit le thé en Inde, après l’avoir volé aux Chinois. C’est là aussi que repose Emmeline Pankhurst, féministe célèbre qui a lutté pour que les femmes puissent voter. Bref, pour ceux qui aiment l’histoire et la nature, ça vaut le coup d’aller à Londres, rien que pour les cimetières.